L’édito
Les jeux sont faits. Une nouvelle page s’ouvre. Serait-elle aussi blanche que veut l’espérer Saad Hariri? Nonobstant l’euphorie partisane, la prudence reste, au stade actuel, de mise … Car dans le contexte présent – explosif à plus d’un égard – l’élection d’un président de la République était une condition nécessaire, certes, mais pas suffisante… Nécessaire, pour éviter une grave débâcle financière et économique qui semblait poindre inexorablement à l’horizon. Pas suffisante, car les défis, les interrogations et les incertitudes sont d’emblée nettement perceptibles.
En tête de ces doutes figurent les véritables desseins et les réelles intentions du Hezbollah. L’allié des mollahs iraniens a-t-il un quelconque intérêt à faciliter la tâche du prochain Premier ministre – Saad Hariri, sauf revirement de dernière heure – ou s’emploiera-t-il, dès le départ, à multiplier les crocs-en-jambe et les conditions rédhibitoires dans le but d’hypothéquer le nouveau régime et d’entraver l’émergence d’un pouvoir exécutif équilibré ? C’est la réussite du mandat du locataire du palais de Baabda qui est, sur ce plan, en jeu. Pour la première fois depuis Taëf, un président de la République bénéficie d’une large assise populaire et d’un important bloc parlementaire. Le principal défi que devra donc relever Michel Aoun sera de mettre à profit de tels atouts pour se comporter en véritable chef de l’État et non pas en allié du Hezbollah ou, plus grave encore, du pouvoir iranien. Parviendra-t-il, notamment, à respecter les ententes qu’il a vraisemblablement conclues avec le chef du courant du Futur et le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, à qui l’on doit – il faut le reconnaître – le déblocage de la présidentielle et le déclenchement concret du processus d’élection de Michel Aoun et qui, de ce fait, ont dû sans doute discuter avec leur candidat des grandes orientations du régime sur le double plan local et régional ?
À l’ombre des guerres civiles qui ébranlent nombre de pays arabes, avec comme toile de fond le sanglant clivage sunnito-chiite, le Liban ne saurait se permettre de s’aligner sur un axe régional au détriment d’un autre. Il y va aussi bien de la stabilité interne que de la sauvegarde des intérêts économiques vitaux de l’ensemble de la population. Cet impératif d’équilibre national et la nécessité de faire prévaloir la logique de l’État sur les considérations miliciennes impliquent que le régime Aoun est appelé à faire preuve d’un degré élevé de vigilance afin d’éviter que certaines hautes charges étatiques sensibles, plus particulièrement au niveau des appareils sécuritaires, ne se transforment en de simples instruments au service, exclusif, du Hezbollah, ou d’autres factions politiques. Il s’agit là d’une condition sine qua non pour le succès de la mission du président de la République.
Face à ce difficile dosage interne, et dans l’attente que se décantent les bouleversements régionaux, le nouveau régime a devant lui l’opportunité d’emprunter un raccourci pour s’engager sur la voie de la réussite : s’atteler sans tarder, et avec détermination, à redresser la situation des services publics. La population – toutes appartenances partisanes, politiques, communautaires, régionales ou claniques confondues – ne cesse de pâtir au quotidien, et depuis des décennies, de l’état scandaleux des réseaux d’électricité, d’eau, de téléphone et d’Internet, sans compter les axes routiers et, plus récemment, l’affaire non moins scandaleuse des déchets domestiques. C’est en priorité sur ces problèmes que Michel Aoun, maintenant président, devrait plancher au plus vite.
Puisque le thème de la dissociation est dans l’air du temps, il serait grand temps de dissocier désormais les dossiers conflictuels qui fâchent, tels que l’effet déstabilisateur des armes du Hezbollah ou les rapports avec le régime Assad, des impératifs de la remise en service des… services publics. Ne pourrait-on pas entretenir à un niveau acceptable le réseau routier, planifier sérieusement le ramassage et le traitement des ordures, développer la téléphonie mobile, améliorer les liaisons Internet, etc. avant que l’évolution de la conjoncture régionale ne permette de trancher le problème de l’armement du Hezbollah et de redéfinir les relations avec la Syrie post-baassiste ? Tel est l’autre défi que devrait relever le président Michel Aoun afin, surtout, de faire redémarrer la machine économique. À la condition, à l’évidence, de ne pas donner un souffle nouveau à la république bananière …