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Échangismes

 

Cette loi de physique élémentaire, nous l’avons tous apprise sur les bancs de l’école : deux forces égales et diamétralement opposées s’annulent. En politique cependant, il peut arriver que des forces plus ou moins diamétralement opposées se conjuguent, sans concertation préalable parfois, pour torpiller un projet qui leur inspire une égale méfiance. Par deux fois plutôt qu’une, à propos de l’élection présidentielle comme du branle-bas arabo-musulman contre Daech, ce curieux phénomène vient d’être illustré.

Cela fait des années qu’on le répétait en vain : la lutte contre l’extrémisme musulman est, avant tout, l’affaire des musulmans eux-mêmes. Bien davantage en effet que les sociétés occidentales, tardivement barricadées aujourd’hui, ce sont les États et peuples musulmans que menace le plus sérieusement ce monstrueux dévoiement de la religion du Prophète qu’est le terrorisme. Car il n’y va pas seulement de leur sécurité matérielle, mais de l’essence même de leur foi.

La vaste alliance militaire anti-Daech mise sur pied par l’Arabie saoudite est-elle un pas dans la bonne direction ? Oui et non. Oui, parce qu’il était grand temps que les États musulmans – et à leur tête un royaume wahhabite accusé de complaisance envers des groupes jihadistes – mettent la main à la pâte, autrement qu’en prenant part aux frappes aériennes menées par la coalition internationale ; car c’est au sol, avec le concours de forces terrestres seulement, que pourra être anéanti un jour l’État islamique. On n’en est pas encore là, certes, les membres de cette coalition étant laissés libres de fixer eux-mêmes les limites de leur intervention. Mais du moins les coalisés s’engagent-ils à combattre, chez eux, les idéologies extrémistes et à promouvoir, dans les mosquées et les écoles, les messages de tolérance et de modération. Plus urgent et nécessaire que le déploiement des muscles est, en vérité, le façonnement des esprits.

Cela dit, ce nouveau front musulman comptant plus d’une trentaine de membres est surtout – et très strictement – sunnite : s’en trouvent exclus d’office, en effet, des pays gouvernés par des chiites ou apparentés, tels l’Iran, l’Irak et la Syrie. Pour un pays comme le Liban, cavalièrement inscrit au nombre des coalisés sans son accord, il ne pouvait y avoir là que source de problèmes, que matière à vive polémique. Salué par les dirigeants sunnites du pays, le projet a suscité la fureur du Hezbollah qui a un lourd contentieux avec le royaume wahhabite : un Hezbollah soudain épris de légalité constitutionnelle et exigeant l’aval du Conseil des ministres avant toute adhésion du Liban, lui qui n’avait pris l’avis de personne avant de provoquer une guerre avec Israël, puis de s’engouffrer dans le conflit syrien.

Or l’affaire ne se résume pas pour autant à une classique querelle entre sunnites et chiites. Pour l’écrasante majorité des chrétiens, un pays pluriconfessionnel tel que le Liban ne saurait se laisser embrigader dans un pacte à caractère ostentatoirement religieux : pire encore, sectaire et relevant de l’une ou de l’autre des deux grandes branches de l’islam. Tout cela est dans l’ordre naturel des choses, les chrétiens du Liban ayant été les premiers, faut-il le rappeler, à s’offusquer de la croisade contre la terreur que décréta jadis George W. Bush. Affaire classée, donc, selon toute vraisemblance, même si notre pays a le plus grand besoin de soutien dans sa lutte contre le terrorisme.

Tel n’est pas le cas du marché de la décennie, conclu à Paris entre Saad Hariri et Sleiman Frangié. Tenue pour certaine il y a quelques jours seulement, l’imminence d’un épilogue s’est estompée. Mais les remous, pour ne pas dire les rébellions, que cette audacieuse entente a suscités au sein des deux blocs politiques rivaux sont loin d’être calmés ; néanmoins, les positions parfois audacieuses affichées par le leader de Zghorta durant son apparition télévisée de jeudi soir ne pourront sans doute que favoriser les échanges, sinon de fugaces convergences d’intérêts entre adversaires d’hier.

Notre minuscule pays a vécu des années écartelé entre ces deux singulières galaxies, séparées par des années-lumière, que sont le 8 et le 14 Mars. Les vols intersidéraux – et sidérants ! – trouvent désormais passagers.