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En attendant Godot

 

On se croirait en plein cauchemar. On croirait faire un mauvais rêve avec comme décor « le pays du n’importe quoi », le pays de l’insouciance érigée en doctrine politique, au point de verser dans le mépris – le plus abject – de la population. Tout le monde voyait poindre à l’horizon la date butoir du 17 juillet portant sur la fermeture de la décharge de Naamé. Cette échéance s’est rapprochée dangereusement, elle a été dépassée, et comme conséquence, le pays tout entier, du nord au sud, croule sous les ordures ménagères. Au lieu que le gouvernement puisse se mobiliser pour axer toute son action, toute son énergie, sur la recherche des moyens lui permettant de surmonter les obstacles entravant le traitement de ce dossier, il s’est retrouvé paralysé pendant de longues semaines. La cause de cette paralysie : l’obstination des ministres aounistes à vouloir ergoter en Conseil des ministres, en toute priorité, sur… le mécanisme de prise de décision au sein du cabinet, avec comme toile de fond le problème, endémique, de la sauvegarde des « droits des chrétiens », qui cache mal en réalité la question de la nomination du gendre du chef du CPL à la tête de l’armée ! La menace de l’apparition inéluctable de monticules d’ordures dans les rues de la capitale, dans les villes et les villages, cela pouvait attendre. Les ministres aounistes avaient d’autres préoccupations, bien plus importantes… Suivant la logique « Michel Aoun à la présidence, ou personne », ce fut ainsi « le débat sur le mécanisme de décision, ou pas d’action gouvernementale » : conséquence inéluctable, les rongeurs peuvent aujourd’hui s’en donner à cœur joie.
Cette crise des ordures ménagères illustre un état d’esprit profondément irresponsable – c’est le moins qu’on puisse dire – qui a caractérisé ces dernières années le comportement de certains ministres qui furent en charge de la gestion des services publics les plus vitaux. L’exemple le plus déplorable est, à n’en point douter, celui du ministère de l’Énergie. Le bilan de tous ceux qui se sont succédé au fil des ans à la tête de ce département – et qui relevaient tous, et relèvent toujours, soit dit en passant, du même camp politique – est effarant. La guerre interne est, officiellement, terminée depuis le début des années 90, et nous en sommes en termes d’approvisionnement en électricité au même stade qu’il y a… 25 ans, à peu de choses près. En deux décennies et demie, messieurs les ministres concernés n’ont pas trouvé un moyen (à supposer qu’ils en avaient la volonté politique) d’améliorer quelque peu, ne fut-ce que pour sauver leur réputation, la distribution du courant.
Le Liban, certes, n’est pas encore sorti de l’auberge, pourrait-on rétorquer. Il demeure toujours dans un état de déstabilisation chronique, entretenu d’ailleurs – autre constatation qui s’impose – par le même camp coupable de la déliquescence du secteur de l’électricité (en l’occurrence le Hezbollah et ses alliés locaux). Mais même en admettant – realpolitik oblige – que le contexte local et régional n’est pas encore mûr pour un règlement en profondeur du problème libanais dans son essence, cela n’est pas incompatible avec une gestion rationnelle et efficace des services publics les plus élémentaires. Le ministre de la Santé, Waël Bou Faour, à titre d’exemple, n’a pas attendu la solution de la question palestinienne pour s’attaquer au dossier sensible de l’hygiène alimentaire, contraignant non seulement les grands restaurants et traiteurs, mais aussi les modestes bouchers dans les villages les plus reculés, à ne plus faire preuve de négligence, devenue avec le temps chronique, dans la fourniture d’aliments et de mets sains à leurs clients. De la même manière, le ministre du Tourisme, Michel Pharaon, n’a pas pris pour prétexte que « les droits des chrétiens » doivent être restaurés pour s’abstenir de booster, comme il le fait grâce à un patient travail de fourmi, le secteur touristique en encadrant et en soutenant, avec les modestes moyens du bord, la centaine de festivals, de concerts et de spectacles dont les différentes régions du pays sont le théâtre depuis le début de la saison d’été.
Les grandes causes politiques, c’est très joli et elles sont, certes, importantes. Mais faudrait-il pour autant négliger ou reléguer aux oubliettes le ramassage des ordures, l’approvisionnement en eau et en électricité, la construction de réseaux d’égouts en dehors de la capitale, et la gestion raisonnable d’autres services publics, en attendant les hypothétiques règlements régionaux dont le pays du Cèdre n’est certainement pas maître ?