Tammam Salam, beaucoup en conviendront, est un vrai sunnite beyrouthin. Il est l’incarnation de l’homme politique épris de modération et de mesure, le responsable soucieux d’étendre le consensus, le Premier ministre rassembleur fuyant comme la peste tout ce qui est de nature à diviser. Sourire omniprésent et toujours chaleureux, gestes lents et pondérés, favorisant l’intelligence des âmes, oreille attentive à ce que dit autrui, regard porteur d’infinie indulgence, il est tout cela et davantage encore.
Mais Tammam Salam est aussi un… sunnite beyrouthin ! En ce sens qu’il a naturellement tendance à repousser un peu trop loin les limites de la modération et de la sagesse. Non pas par manque de courage, comme l’insinueraient volontiers les persifleurs de la pseudo-indolence beyrouthine, mais peut-être simplement par excès d’optimisme.
L’homme est pourtant lucide. Il cerne manifestement très bien les limites de son pouvoir et de ses moyens à la tête d’un cabinet composé de contraires, miné par les intérêts égoïstes et dépourvu d’éléments de bonne gouvernance, le tout dans un pays qui se prend les pieds comme jamais dans le jeu des axes régionaux.
Mais aussi, du fait même des impasses et des contradictions dans lesquelles se débattent la classe politique et la nation libanaise tout entière, sans parler du quasi-chaos régional, il n’est guère impossible à un Premier ministre rendu incontournable par la vacance présidentielle et incarnant plutôt bien que mal la légalité libanaise, d’en arriver à disposer d’une certaine marge de manœuvre.
Certes, il ne s’agit nullement pour lui de renverser la table, de s’imposer comme un acteur du changement ou même d’influer si peu que ce soit sur le rapport des forces. Ni Tammam Salam ni un autre à sa place ne pourrait, aujourd’hui, prétendre pouvoir atteindre de tels objectifs. Cependant, face aux échecs lamentables tant de la classe politique que, tout dernièrement, de ce qu’on appelle la société civile, face aux irrégularités et aux violations constitutionnelles, aux chantages de tous poils, à la prise en otage de l’État, à la déliquescence des institutions, un Premier ministre comme Tammam Salam a encore un pouvoir, un seul… celui de taper du poing sur la table ; ne serait-ce que pour marquer le coup et placer les composantes politiques de son gouvernement devant leurs responsabilités.
Voilà plus d’un mois que le plan Chehayeb pour la gestion des déchets a été adopté. Qu’il soit bon ou mauvais, on n’en voit pas vraiment d’autre pour l’instant, et le gouvernement donne l’impression d’attendre, avant de le mettre en œuvre, d’avoir recueilli l’aval de chacun des quatre millions et demi de Libanais. Mais le problème réel, c’est que le dossier, comme tant d’autres, a d’ores et déjà été annexé aux intérêts égoïstes de certaines composantes du cabinet, lesquelles n’accepteront de le débloquer que lorsque leurs demandes dans d’autres domaines seront satisfaites.
Une mention spéciale doit à l’évidence être faite ici du chef du bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun, dont le talent est jusqu’ici inégalé dans l’histoire du pays pour ce qui est de faire croire à tout un public qu’il est dans l’opposition alors qu’il est au pouvoir…
Quant au mouvement de contestation civile issu de la crise des déchets, il ressemble de plus en plus à un navire qui prend l’eau de partout. Pour n’avoir pas su maîtriser leur agenda de revendications et pour être restés plutôt tangents dès lors qu’il s’agissait des rapports entre contestation pacifique et violence émeutière, les activistes du mouvement assument une lourde responsabilité devant ceux à qui ils ont inspiré tant d’espoirs.
Pour toutes ces raisons, Tammam Salam est invité à élever la voix : il en sortira ce qu’il en sortira… Pas une révolution, certes ! Pas une soumission des forces politiques, loin de là ! Et les axes régionaux ne l’entendront probablement pas.
Mais le faire juste pour l’honneur, pour ce qui reste de dignité à l’État libanais, cela, déjà, en vaut la peine.