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Entre 1988 et 2015, des similitudes troublantes, des vides, des crises… et Michel Aoun

 

 

Fin 1988, le président sortant Amine Gemayel avait quitté le palais de Baabda sans pouvoir assurer l’avènement de son successeur en raison des divisions politiques locales, influencées par la guerre froide américano-soviétique. Les tentatives de faire élire l’ancien président Sleimane Frangié, candidat de Moscou et de Damas, avaient échoué, du fait du veto de Bkerké et de l’ensemble des forces chrétiennes. Pour éviter le vide institutionnel, le président Gemayel avait nommé, en vertu de ses prérogatives, le commandant en chef de l’armée, le général Michel Aoun, à la tête d’un cabinet de transition, formé des six membres du Conseil militaire. En dépit de la démission des trois généraux musulmans – sunnite, chiite et druze – à l’annonce du cabinet, le gouvernement avait poursuivi son action avec les trois ministres restants – M. Aoun lui-même, ainsi que Issam Abou Jamra et Edgar Maalouf. À l’époque, et en dépit du branle-bas politico-diplomatique du monde entier, toutes les démarches pour débloquer la situation n’avaient pu combler le fossé entre les différents camps : le candidat non déclaré des Forces libanaises était Pierre Hélou, Walid Joumblatt soutenait la candidature d’Antoine Achkar, et la Syrie et ses alliés celle de Sleimane Frangié. Aucune partie, cependant, n’était capable d’assurer le quorum des deux tiers, nécessaire pour que le premier tour de la séance électorale se tienne.

L’administration américaine avait aussitôt, rappelons-le, dépêché Richard Murphy à Damas pour y rencontrer Hafez el-Assad et tenter de débloquer l’échéance présidentielle libanaise. L’émissaire américain avait proposé cinq noms au président syrien, mais ce dernier avait tiré un lapin de son chapeau : la candidature du député Mikhaël Daher. Damas n’accepterait que lui comme chef de l’État au Liban, avait souligné Assad, et le diplomate américain n’avait pu lui faire changer d’avis. À Beyrouth, Richard Murphy avait rencontré tous les chefs de file chrétiens, du patriarche Sfeir aux notables, en passant par Michel Aoun et Samir Geagea, avec cette formule sinistre, restée depuis dans la mémoire des Libanais : « Ce sera Mikhaël Daher ou le chaos ». L’ensemble du camp chrétien avait rejeté, à l’époque, ce diktat syrien, pourtant avalisé, à l’époque, par Washington et Moscou. Le problème ne concernait pas la personnalité de M. Daher lui-même, mais le principe du diktat imposé par Damas aux chrétiens. Ces événements, entre autres, ont précipité la réunion de Taëf, l’élaboration du document d’entente nationale et la révision constitutionnelle de 1990.

Hier ressemble étrangement à aujourd’hui, estime un ancien député. Sauf que c’est Naïm Kassem qui est aujourd’hui dans la peau de Richard Murphy et qui, suprême ironie de l’histoire, assène désormais aux différentes parties libanaises : « Michel Aoun ou le vide sine die ». En 1988, le général Aoun était, au côté du patriarche Sfeir, de Samir Geagea et des notables chrétiens, l’un des fers de lance du rejet de cette formule, au nom de la souveraineté nationale. D’aucuns, parmi lesquels cet ancien député, se demandent au nom de quelle logique le chef du Courant patriotique libre (CPL) peut rejeter le diktat syro-américain de 1988 et accepter aujourd’hui un diktat iranien similaire, tel que celui exprimé par le secrétaire général adjoint du Hezbollah. Ahmad Fatfat ne s’y est pas trompé en répondant, illico presto, que le général Aoun devait être le plus dérangé par les propos du responsable chiite, qui « lui ont grillé ses chances présidentielles ». Le bloc du Futur a été plus loin encore, parlant explicitement de « scandale national » qui montre l’étendue des visées iraniennes sur le pays.

D’aucuns estiment que les propos de Naïm Kassem ont montré qui paralyse réellement la République et ses institutions, qui a pris en otage la présidentielle et qui assume la responsabilité de la régression du pays à tous les niveaux. Le président de la Chambre, Nabih Berry, refuse, quant à lui, de commenter les propos du responsable du Hezbollah. Selon des sources proches de M. Berry, ce dernier appelle au calme et à faire prévaloir l’intérêt national sur toute autre chose, estimant que le torpillage du cabinet ne facilitera pas l’élection d’un nouveau chef de l’État.

Des sources diplomatiques estiment pour leur part que les propos de Naïm Kassem pourraient contribuer à initier un vrai dialogue autour de l’élection présidentielle. Si le 14 Mars rejette cette proposition, ne faut-il pas aller à la recherche d’issues? « Si l’antibiotique prescrit par le médecin ne fonctionne pas, ne faut-il pas le changer? » pour reprendre la formule de Nabih Berry. En ce sens, le diktat du responsable hezbollahi pourrait constituer un début de déblocage, par-delà le verrouillage de la communauté maronite effectué par le général Aoun au nom du président « fort et représentatif ». Des sources bien informées estiment ainsi que l’escalade verbale actuelle prouve que l’issue n’est plus très lointaine et qu’une solution est sur les rails. Elle n’attendrait plus que la signature, à la fin du mois, de l’accord sur le nucléaire iranien. Dans ce cadre, la visite à Téhéran de la coordinatrice spéciale de l’Union européenne pour le Liban Sigrid Kaag se serait avérée fructueuse, selon ces sources, qui y voient l’amorce d’une dynamique pour aboutir à un compromis et mettre fin à la crise.