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Entre le patriarche et les aounistes, ça se corse…

L’élection présidentielle entre de plain-pied dans le mois d’août, celui des vacances des diplomates accrédités au Liban, notamment ceux des pays membres du Conseil de sécurité de l’Onu, ou encore du représentant personnel de Ban Ki-moon pour le Liban. Jusqu’à présent, toutes les tentatives visant à débloquer l’échéance ont lamentablement échoué. Neuf séances se sont déroulées sans quorum à la Chambre des députés. Et, de sources diplomatiques, il ne faut pas s’attendre à des mutations profondes dans les positions des uns et des autres pour l’instant, à moins d’une surprise, qui reste pour le moins improbable.
Preuve que toutes les tentatives de solution ont subi le même sort funeste, les hôtes du chef du bloc du Changement et de la Réforme, le député Michel Aoun, rapportent que ce dernier campe plus que jamais sur ses positions, surtout à l’ombre des événements qui secouent la région, et plus particulièrement l’exode des chrétiens de Mossoul. Pour le général Aoun, la période actuelle nécessite un président fort, surtout qu’il est désormais question de protéger les chrétiens d’Orient. Aussi, le chef du Courant patriotique libre (CPL) croit-il que le vent tourne dans sa direction et que la tournure dramatique des événements dans la région joue, au final, en faveur de son accession au siège présidentiel.
Selon ses hôtes, Michel Aoun insiste sur l’importance de garantir les droits des chrétiens à travers une nouvelle loi électorale permettant une représentation plus saine de la communauté au sein des institutions, contrairement à ce qui est actuellement le cas. Pour le général Aoun, cette étape est prioritaire, dans la mesure où c’est la nouvelle Chambre élue sur base de la proposition de loi dite « orthodoxe » qui doit élire le nouveau président de la République. Ainsi, affirme-t-il, les chrétiens pourront élire leurs députés et leur président loin de toutes les contraintes et de toutes les pressions.
L’entêtement habillé de messianisme du chef du CPL n’a pas été sans envenimer la relation entre Rabieh et Bkerké. Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, qui avait été critique vis-à-vis des députés (du 8 Mars) qui boycottent les séances électorales, s’est retrouvé la semaine dernière sous le feu des attaques des députés aounistes. Ce qui n’a pas été sans rappeler aux observateurs l’attitude que les partisans du général Aoun adoptaient à l’encontre du patriarche Nasrallah Sfeir, avant l’élection de Mgr Raï. Pour les milieux du CPL, les positions du patriarche maronite s’inscrivent dans le cadre d’un plan du 14 Mars visant à marginaliser l’influence aouniste au sein de la rue et des autorités chrétiennes, ou encore d’une tentative de barrer la route à tout soutien au général Aoun pour la présidentielle, en écartant les faucons maronites de la course. D’où, soulignent ces milieux, les derniers propos de Mgr Raï, qui a plaidé en faveur d’un candidat de consensus hors des sentiers battus du 14 Mars et du 8 Mars.
À la lumière des développements régionaux, des sources du 8 Mars proches de Rabieh estiment qu’il faudrait plutôt patienter avant d’élire un président de la République. Ces sources affirment avoir été frappées par la position française « dangereuse » visant à faciliter l’émigration des chrétiens d’Irak, dans la mesure où « elle contribue à encourager les chrétiens de la région à émigrer et, partant, à purger l’Orient de la présence chrétienne, de la diversité et de la convivialité ». Certaines parties du 14 Mars sont désormais convaincues de la nécessité d’élire un président loin de la polarisation politique actuelle pour mettre fin à la vacance présidentielle et consolider la situation des institutions face aux défis régionaux. D’autant que le président est chrétien et qu’il s’agirait d’un signal fort visant à pousser cette communauté à rester attachée à sa terre.
Face à ces deux logiques, il est de nouveau question d’un compromis qui engloberait la présidence de la République, la Chambre et le gouvernement, la loi électorale, ainsi qu’un règlement de tous les dossiers financiers, avec la mise en place d’une coordination au plan interne pour faire face aux développements régionaux. Une sorte de Doha II. C’est dans ce cadre que des observateurs avisés replacent la visite du député Walid Joumblatt au secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Le chef du Parti socialiste progressiste souhaite sauver la présidence et le Liban de la tourmente régionale, et les deux hommes se seraient entendus sur la nécessité de proroger le mandat de la Chambre pour éviter une nouvelle vacance au sein d’une institution qui serait un pas supplémentaire vers l’effondrement de l’État. Ce Doha II est rendu nécessaire par l’étape actuelle, d’autant que Walid Joumblatt aurait senti que le chef du Hezbollah est en faveur d’une accalmie sécuritaire et politique, d’une élection présidentielle dans les plus brefs délais, et de la prorogation du mandat de la Chambre, compte tenu de la difficulté de tenir des élections à l’heure actuelle.
Pour un diplomate bien informé, les développements en Irak pourraient avoir des répercussions sur la scène interne et accélérer le processus de normalisation au Liban. Selon cette source, il existerait une volonté de mettre fin à la situation de crise en Irak. Après avoir réussi à faire élire un président de la République et un Parlement, les parties en conflit pourraient s’entendre sur un autre candidat que Nouri al-Maliki à la présidence du Conseil. Mais il faudra attendre encore un mois, d’où la nécessité, au plan libanais, d’œuvrer à un mécanisme pour une prorogation du mandat de la Chambre, de sorte que les élections se déroulent en mai 2015 ou en mai 2017.
En dépit de la situation de blocage, des sources politiques proches du 14 Mars précisent que les efforts se poursuivent inlassablement pour s’entendre sur un candidat de consensus qui soit hors des deux principaux blocs politiques du pays, et les déclarations du patriarche Raï, mais aussi du vice-secrétaire général du Hezbollah, Naïm Kassem, s’inscrivent dans ce sens. Il est temps de mettre fin à la période de candidature des chefs, qui n’a que trop duré, souligne ainsi une source du 14 Mars, en soulignant cependant que c’est désormais Michel Aoun qui constitue l’obstacle principal empêchant l’élection et que nul, au sein de son camp – en l’occurrence le président de la Chambre Nabih Berry ou Hassan Nasrallah – ne prend les devants pour lui dire de laisser la place à d’autres candidats plus acceptables. C’est comme si les deux pôles chiites du 8 Mars profitaient de l’obstination du chef du CPL pour geler l’échéance, souligne ainsi un député des Forces libanaises. Le courant du Futur, lui, rappelle que son chef, Saad Hariri, n’acceptera pas de jouer aux trouble-fêtes et d’annoncer au général Aoun qu’il se trouve dans une impasse totale, comme le souhaite le tandem Berry-Nasrallah…
Le général est donc devenu une balle de tennis que les deux camps se renvoient allégrement, mais il n’en a cure, puisqu’il attend que le monde change, de manière à ce qu’il soit enfin adapté à ses ambitions. Mais la question se pose, pour nombre de diplomates : combien de temps Amal et le Hezbollah peuvent-ils encore rester dans cette position attentiste, avant que vienne le moment complexe où il faudra annoncer à Michel Aoun qu’il est désormais hors jeu ?