Mondial
La télévision publique Télé Liban a diffusé hier en direct, mais en turc, la rencontre de football entre l’Allemagne et le Portugal. Elle brave ainsi la décision de l’État de permettre aux seuls distributeurs de chaînes de télévision par câble de retransmettre les matches du Mondial.
Depuis hier, les téléspectateurs ont gratuitement accès aux matches du Mondial, en direct, sur les chaînes de télévision par câble, à travers leurs distributeurs de quartier : voici la bonne nouvelle qu’a annoncée hier aux amateurs de football le ministre des Télécommunications, Boutros Harb. Et ce lors d’une conférence de presse qu’il a donnée au ministère des Télécommunications, conjointement avec les ministres de l’Information Ramzi Jreige et de la Jeunesse et des Sports, Abdel Mouttaleb Hennaoui.
Sauf que cet accord a légitimé le piratage au détriment de la retransmission légale. Il a aussi négligé une importante partie des téléspectateurs qui n’ont pas d’abonnement aux distributeurs illégaux de quartiers. Aussi bien la chaîne publique Télé Liban, que les distributeurs de chaînes satellites agréés par les autorités libanaises, à savoir Cable Vision, Econet, Digitech et City TV, ont été écartés de l’accord entre les autorités libanaises et la société Sama sarl. Une information confirmée à L’Orient-Le Jour par le directeur de Sama, Hassan Khalil Zein, qui a précisé que l’accord sera signé aujourd’hui même. Seuls sont donc concernés les distributeurs par câble, distributeurs illégaux des chaînes télévisées par satellite.
Le PDG de Télé Liban menace de démissionner
Résultat, comme l’a promis son PDG, Talal Makdessi, Télé Liban a diffusé hier, à 19 heures précises, le match entre l’Allemagne et le Portugal, outrepassant la décision des autorités. Un match commenté en turc et donc visiblement retransmis depuis une télévision turque. M. Makdessi avait déjà annoncé la couleur, au cours de la journée, déplorant avec véhémence que Télé Liban n’ait pas été pris en compte dans l’accord. Il a menacé de présenter sa démission, si les autorités l’empêchaient de diffuser le match. « Je présenterai ma démission avec un large sourire et avec la fierté d’avoir défendu les droits du citoyen ordinaire », a-t-il martelé. Il a assuré qu’en retransmettant l’événement, il privilégiait le droit du citoyen libanais d’assister à la retransmission de cet événement historique, sur base des propos tenus par le ministre Jreige lors de la conférence de presse. Et d’ajouter que « Télé Liban est la seule chaîne télévisée publique et qu’elle peut toucher tous les téléspectateurs du Liban, où qu’ils se trouvent ».
Nombre de téléspectateurs abonnés aux distributeurs agréés ont également réussi à suivre le football, hier, sur diverses chaînes, sans avoir déboursé la moindre piastre. « Nous sommes étonnés de l’accord flou auquel a abouti l’État, qui sanctionne les distributeurs légaux, agréés par les autorités libanaises », regrette une source proche de ces distributeurs. « Ils nous ont mis dans un sale pétrin. Nous n’avons d’autre choix que de faire payer le prix de la carte à nos clients, déplore la source. Mais si tout le monde passe outre l’interdiction, nous en ferons de même. » De son côté, Cable Vision annonçait tout haut à L’Orient-Le Jour sa décision de diffuser le football sur les chaînes Bein 1 et Bein 2, et « advienne que pourra ».
Contacté à plusieurs reprises pour plus de précisions, le ministre Boutros Harb n’a pas donné suite à nos appels. Le ministre Ramzi Jreige a reconnu, de son côté, les deux aberrations de l’accord sur la retransmission du Mondial, d’une part, la décision d’écarter Télé Liban et les distributeurs agréés, et d’autre part, la légitimation du piratage au détriment de la retransmission légale. « Nous poursuivons nos efforts pour que tous les Libanais aient la possibilité de voir le Mondial, par le biais de Télé Liban et des distributeurs agréés », a-t-il souligné, précisant que l’accord assure déjà une retransmission à 88 % des téléspectateurs. « C’est mieux que rien. Nous avons fait de notre mieux. »
La conférence de presse
Plus tôt dans la journée, le ministre des Télécommunications, Boutros Harb, avait exposé les modalités de l’accord entre l’État libanais, sous la supervision du Premier ministre Tammam Salam, et la société privée Sama sarl. « Notre objectif est de faire plaisir au peuple libanais et de lui permettre de voir gratuitement les matches de la Coupe du monde de football », a-t-il dit. « L’affaire est close et les Libanais peuvent désormais assister aux matches par les distributeurs de chaînes par câble, sans contrepartie financière », a-t-il expliqué. M. Harb a précisé que l’accord préserve aussi bien les droits de la société de diffusion que ceux des téléspectateurs. Il a de plus invité les distributeurs – qui ont contesté cette décision – à contacter Sama pour s’enquérir des modalités de diffusion des rencontres de football. Le ministre s’est abstenu de rentrer dans les détails financiers de l’accord. Il a toutefois affirmé que les deux sociétés de téléphonie mobiles, « Alfa et MTC, assureront une grande partie du financement » qui s’élève à trois millions de dollars américains, sans en dire davantage. Il a également mentionné que l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, avait proposé sa contribution personnelle, « pour rendre ce service aux Libanais ».
De son côté, le ministre de l’Information, Ramzi Jreige, avait rendu compte des différentes négociations pour l’aboutissement du processus. Il a d’abord rappelé la promesse faite par l’émir du Qatar à Nagib Mikati, alors Premier ministre, d’autoriser Télé Liban de diffuser les matches du Mondial. Une promesse restée vaine, malgré la lettre du président Sleiman à l’émir qatari. Partant du droit du citoyen à l’information et à l’accès à des événements d’une importance majeure, M. Jreige a ensuite affirmé que ce droit est inaliénable et qu’il « dépasse toute autre considération, à l’instar des droits de diffusion ». « C’est sur base de ce principe que les responsables ont mené les négociations avec Sama », a-t-il conclu.
Il reste un point à élucider. Quelles sont les modalités de l’accord entre les autorités libanaises et les deux distributeurs de téléphonie mobile ? La rumeur court déjà. Des distributeurs de chaînes télévisées par câble assurent que chaque abonné au téléphone cellulaire devra s’acquitter d’un dollar supplémentaire, prélevé sur sa facture de téléphone. Une rumeur formellement démentie par la société Alfa, contactée par L’Orient-Le Jour. Affaire à suivre…