Les positionnements opposés des parties libanaises par rapport à la guerre du Yémen, qui se manifestent avec une virulence croissante depuis l’interview du secrétaire général du Hezbollah à la télévision syrienne al-Ikhbariya, ne déteignent pas sur le dialogue en cours entre le Futur et le parti chiite. La question n’est pas là en tout cas. Le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, qui explique la virulence du discours de Hassan Nasrallah contre l’Arabie saoudite par « la surprise provoquée par la Tempête de la fermeté chez les Iraniens », estime que la question « élémentaire » qui se pose est celle de savoir « jusqu’où ira le sayyed dans son discours extrêmement tendu contre l’Arabie saoudite ? Prend-il en compte les répercussions de son discours sur la vie de près d’un demi-million de Libanais auxquels le royaume a ouvert ses portes ? ». Soulignant au quotidien al-Moustaqbal dans son édition d’hier que « l’Arabie avait été la première à soutenir le Liban à l’apogée de l’agression israélienne contre le Hezbollah et contre le Liban en 2006 », le chef du Rassemblement démocratique a estimé que si « l’enjeu réel des propos de Hassan Nasrallah est de provoquer les autorités saoudiennes jusqu’à les inciter à prendre une action qui nuit aux intérêts des Libanais, nous estimons que le roi d’Arabie et son administration sage sont suffisamment avisés pour ne pas tomber dans ce piège ».
Geagea
Pour sa part, le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, a réitéré son appui à l’Arabie saoudite, sous l’angle de « notre soutien à la création d’une force arabe unifiée pour défendre les causes des États arabes ». Il s’exprimait lors d’une nouvelle cérémonie de remise de cartes aux adhérents du parti, hier, à Maarab. La veille, contacté par la MTV, il avait défendu l’Arabie saoudite, sous l’angle de son appui au Liban. S’adressant directement à Hassan Nasrallah, le leader des FL lui a lancé : « Nous avons sans doute de nombreux points de désaccord, qui ne peuvent néanmoins inclure la réalité de l’aide saoudienne au Liban et sa contribution à la reconstruction du pays. En tant que chef d’un parti politique libanais, l’intérêt libanais devrait être votre priorité. Où se trouve cet intérêt chez vous aujourd’hui ? (…). De même, en tant que musulman, quels intérêts des musulmans défendez-vous en attaquant l’Arabie ? » Il a en même temps souligné, en réponse à une question, que « la mouvance du 14 Mars progresse indépendamment des développements régionaux » et ne parie donc pas sur l’opération militaire arabe au Yémen.
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Il reste que la polémique intérieure autour du Yémen sert au moins d’indicateur du positionnement des différents acteurs sur l’échiquier interne.
Ainsi, le député Alain Aoun, membre du bloc du Changement et de la Réforme, a expliqué le mutisme du Courant patriotique libre sur la question par des arguments qui limitent la portée de l’alliance Hezbollah-CPL. « Nous ne partageons pas avec le Hezbollah les mêmes considérations, ni les mêmes rapports avec le Yémen. Notre alliance avec le parti chiite est de nature politique et ne dépasse pas les frontières libanaises », a-t-il déclaré, lors d’une interview à la New TV, se désolant en outre de « l’escalade régionale, alors que nous comptions sur un rapprochement irano-saoudien ».
L’argument du mutisme du CPL sur la question est évoqué par certaines figures du 14 Mars afin de soutenir la thèse d’un isolement, de plus en plus clair, du parti chiite sur la scène interne. L’on relève en tout cas les alternances dans les discours du Hezbollah par rapport au dialogue : tantôt le parti chiite laisse entendre que le dialogue pourrait prendre fin – surtout après la virulente attaque de Nouhad Machnouk contre l’Iran –, et tantôt il le valorise en faveur de la stabilité.
Le député Ali Fayad a ainsi déclaré, lors d’une cérémonie du Hezbollah à Meyss Jabal, qu’« en dépit des divergences, nous souhaitons préserver la stabilité et maintenir le dialogue ». Il a énuméré ces deux enjeux sous l’angle de « la bonne marche des institutions et la lutte contre le takfirisme ».
De son côté, le vice-président du conseil exécutif du Hezbollah, cheikh Nabil Kaouk, a qualifié « la position du Hezbollah contre l’agression américano-saoudienne au Yémen de cri percutant de l’histoire ». Quant au ministre Hussein Hajj Hassan, il a relancé l’argument de « l’injustice commise contre le peuple yéménite », afin de discréditer l’opération arabe, qualifiée par le camp opposé de véritable « sursaut de l’arabité ».
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Pour un abandon de l’arabité, en faveur de la neutralité
Il faut dire qu’en attendant que la situation régionale se décante, certains acteurs libanais tentent de stimuler un éveil libanais, à travers une réflexion sur les moyens de renforcer l’accord de Taëf : à l’heure où certains porte-voix du Hezbollah préconisent un abandon de cet accord, d’autres, comme Walid Joumblatt, appellent à l’amender. Mais une réflexion nouvelle, liée surtout aux principes de gouvernance du pays, commence à poindre. Un appel à consacrer le statut de neutralité du Liban est relancé et semble se propager, aussi bien dans les rangs du 14 Mars que chez les centristes.
Ainsi, le ministre du Tourisme Michel Pharaon a proposé, lors d’une interview à une radio samedi, « une feuille de route pour la stabilité, basée sur la neutralité et non sur l’arabité du Liban, de manière à ce qu’il soit un État de dialogue institutionnel ». Conscient de la nuance entre la neutralité et l’arabité, le député Ahmad Fatfat a pris à charge de relance l’idée de la neutralité, mais prudemment, en prenant en compte les spécificités de la base sunnite.
En visite au Koweït en fin de semaine, l’ancien président de la République Michel Sleiman a souligné, dans un entretien à la radio, que « les attaques, même verbales, lancées contre les croyances de certaines parties, toutes appartenances confondues, conduisent inévitablement à des conflits. Il est important de distancier le Liban des conflits régionaux, y compris la guerre du Yémen ». Il n’a pas manqué de valoriser sur ce plan, une nouvelle fois, la déclaration de Baabda.
Un premier pas a été marqué dans ce sens par Télé-Liban, qui a pris la décision de ne plus diffuser les déclarations ou prises de position portant sur les développements régionaux.