C’est en prenant le contrepied des positions de Saad Hariri que Michel Aoun a répondu hier à la « feuille de route » proposée par ce dernier pour sortir le pays de son impasse présidentielle, et relancer les institutions.
En proposant qu’une consultation électorale précède l’élection d’un nouveau chef de l’État, le chef du CPL a été complètement à rebours des choix de Saad Hariri. Pour les observateurs, la nouvelle proposition de M. Aoun, comme celle qui l’a précédée – élection d’un nouveau chef de l’État au scrutin universel et en deux temps –, ne vise qu’à faire gagner du temps à un homme qui croit encore à ses chances d’accéder à la tête de l’État libanais.
Ce n’est pas un retour au point zéro, c’est l’ouverture d’une guerre froide, a épilogué à ce sujet l’analyste de l’agence al-Markaziya. Pour l’éditorialiste de l’agence, « le quiproquo entre le CPL et le courant du Futur est total ».
Ainsi, l’on estime dans les milieux aounistes que les prises de position de Saad Hariri, annoncées à partir de l’Arabie saoudite en plein ramadan, répondaient à un « diktat » du pays hôte destiné à couper définitivement la voie à une candidature présidentielle de Michel Aoun.
Or, ajoute la source citée, c’est tout le contraire que Michel Aoun attendait de la part de Saad Hariri, sur base de l’accord qui avait ouvert la voie à la formation du gouvernement Tammam Salam et des étonnantes facilités offertes aux nominations administratives qui l’avaient accompagnées.
Par ailleurs, on s’étonne, dans les milieux proches du CPL, de l’impatience manifestée par Saad Hariri en matière présidentielle et du prétexte d’une absence d’accord entre candidats chrétiens que Saad Hariri a soulevé, sachant par ailleurs qu’il a fallu dix mois pour former le nouveau gouvernement, et qu’à peine deux mois se sont écoulés depuis la fin du mandat du président Sleiman. Quand on sait l’importance de la fonction présidentielle, on ne doit pas s’étonner de la longueur des consultations et du dialogue qui peut précéder le pourvoi à ce poste, affirme-t-on dans les milieux cités.
Et d’en conclure que Saad Hariri a pris du dialogue avec le CPL, selon ce dernier, ce qui l’arrangeait, mais n’a pas tenu ses engagements d’appui à la candidature de Michel Aoun qui l’accompagnaient.
Réponse du Futur
Pour le courant du Futur, par contre, le général Michel Aoun s’est trompé sur les objectifs du dialogue que Saad Hariri a engagé et n’en a vu que ce qui l’intéressait.
Ainsi, précise-t-on, l’un des objectifs du Futur était d’offrir à Michel Aoun l’occasion de prendre ses distances à l’égard de l’axe de la résistance et d’opter pour une position plus centriste, plus équilibrée, d’autant que les députés du Courant patriotique libre ont toujours affirmé qu’ils ne font pas partie du 8 Mars, mais qu’ils en sont de simples alliés.
Non seulement Michel Aoun n’a pas rompu avec les ultras de la « moumanaa », objecte le courant du Futur, mais il a couvert sans restriction l’engagement militaire du Hezbollah en Syrie.
Saad Hariri pouvait-il, en pareil cas, appuyer les positions du CPL aux échéances présidentielle et législatives ? s’interroge-t-on dans ces milieux. Et du reste, est-ce que Michel Aoun a même voulu entendre les conseils qui lui étaient donnés de se rapprocher des courants chrétiens du 14 Mars, ou au moins de ne pas se les aliéner, dans la perspective de sa candidature à la fonction présidentielle ? A-t-il seulement cherché à ne pas s’aliéner le chef de l’Église maronite, contraint, déclaration après déclaration, à blâmer implicitement le CPL pour les défauts de quorum successifs qui, jusqu’à présent, ont empêché la Chambre d’élire un nouveau président ?
Pour le Futur, conclut la source citée, Michel Aoun a mal compris Saad Hariri, et a songé que son ouverture en direction du CPL avait pour but principal un intérêt personnel, celui de son retour au pays, puis celui de son élection au Sérail, sachant bien qu’il n’était ni libre ni maître de s’imposer comme chef de gouvernement, encore moins de choisir tout seul le futur président de la République.
Parlement et gouvernement
Le dialogue interne entre ces deux grands joueurs sur l’échiquier interne étant ainsi gelé, qu’en est-il de la vie parlementaire et de la vie gouvernementale ?
Sur le premier plan, il est clair que la convocation de la Chambre, aujourd’hui, à élire un nouveau chef de l’État, recevra des députés du 8 Mars le même accueil glacial, accompagné du même défaut de quorum que les précédentes.
Ce n’est pas aujourd’hui – ni demain – non plus que les divergences entre le 14 Mars et Nabih Berry au sujet du paiement des salaires dans le secteur public seront aplanies. Ainsi, alors que le ministre des Finances exige qu’une nouvelle loi l’autorise à accorder des avances du Trésor pour répondre aux nécessités de fonctionnement de l’appareil administratif, Fouad Siniora insiste sur le fait que l’appareil législatif existant l’y autorise et qu’il n’est pas besoin de nouvelle loi. En jeu, selon le 8 Mars, les dépenses effectuées par le gouvernement de Fouad Siniora, et dont aucune comptabilité ordonnée n’a été établie, que l’ancien chef de gouvernement chercherait indirectement à légitimer. Pour le Futur, toutefois, M. Berry cherche ainsi à empêcher la paralysie de la Chambre, utilisée comme moyen de pression pour hâter l’élection présidentielle.
Pourtant, en contraste avec cette lugubre épreuve de force portant sur rien moins que les salaires des fonctionnaires (pris à leur tour en otages), un « new deal » gouvernemental a été annoncé hier de toutes parts, en prévision du Conseil des ministres convoqué par Tammam Salam pour jeudi, chacun promettant qu’il ne posera pas d’obstacles au fonctionnement de l’exécutif.
Ainsi, le PSP a annoncé qu’il cédera sur ses droits à être représenté au sein du conseil de l’Université libanaise (UL), en échange du maintien de Pierre Yared à son poste de doyen de la faculté de médecine de l’UL. On ignore la réponse qu’apportera le parti Kataëb et le CPL, à cette décision, sachant que tous deux convoitent aussi pour des enseignants qui leur sont proches dans ce même poste.
Par ailleurs, tous les courants politiques, y compris le CPL, ont accepté de passer outre au dossier de l’UL, en cas de blocage, et de poursuivre l’examen d’autres dossiers inscrits à l’ordre du jour de la réunion du gouvernement.
Et qui vivra verra.