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Entre réfugiés palestiniens et déplacés syriens, quelle différence pour le Liban ?

Ornella ANTAR

Pour une fois, et dans le tumulte arabe qui secoue la région depuis 2011, le Liban se maintient, contre vents et marées. Il ne réussit cependant pas à rester à l’écart de la guerre qui ravage la Syrie et qui pousse les Syriens à chercher refuge dans le pays du Cèdre. De vieux matelas portés sur le dos, d’anciennes valises traînées, des sacs suspendus au bras gauche et un nourrisson enveloppé d’une couverture au bras droit… La scène qui se dessine à grands coups de pinceau sur les frontières libano-syriennes ne semble étonner personne. Aux yeux des Libanais, il s’agit bel et bien d’un déjà-vu.
Un retour aux années 1948 et 1949 s’impose. À cette époque, le Liban de la phase postindépendance (1943), avec le pacte national qui assurait plus ou moins le bon fonctionnement de la vie politique, se forge petit à petit. Mais la guerre israélo-arabe de 1948 et ses conséquences viennent remettre en cause cette tranquillité – tant recherchée après des siècles d’occupation. Les réfugiés palestiniens arrivent en masse entre 1947 et 1949. Il n’y a eu que très peu d’arrivées à la suite de la guerre des Six-Jours, en juin 1967.
Les images se ressemblent, se superposent, se confondent même jusqu’à ne plus les distinguer qu’à leur coloration – noir et blanc pour les unes et polychromes pour les autres –, mais les expériences de l’exil des deux peuples palestinien et syrien au Liban sont distinctes et ne s’entrecroisent jamais, ou presque. En revanche, un seul facteur pourrait être commun aux deux expériences : le facteur psychologique, décisif quant à l’approche de la relation libano-palestinienne et libano-syrienne, d’autant que la Palestine et la Syrie ont, chacune à sa façon, laissé leur empreinte sur la guerre civile libanaise.

L’obstacle des chiffres
« Un déséquilibre structurel principal plane sur les deux dossiers. Il s’agit de l’absence des politiques publiques et du manque de précision quant aux chiffres », affirme M. Sayegh. Concernant les réfugiés palestiniens, 455 000 sont inscrits, alors que le nombre de ceux qui sont présents sur le territoire libanais, selon des statistiques non officielles qui visent la période entre 2011 et 2014, varie entre 290 000 et 320 000 réfugiés.
« Actuellement, la Direction de la statistique et le Bureau palestinien des statistiques, en collaboration avec le Comité de dialogue libano-palestinien, mènent une statistique sérieuse sur le nombre de réfugiés palestiniens présents sur le territoire libanais », annonce l’expert. Et de poursuivre : « Le problème se pose lorsque les registres spéciaux pour ces réfugiés ne sont pas unifiés, certains se trouvant entre les mains de l’État libanais alors que d’autres sont à l’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa). »
Ce même problème se pose en ce qui concerne les déplacés syriens. « Leurs registres sont dispersés entre la Direction générale de la Sûreté générale, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et les municipalités, relève M. Sayegh. Au Liban, nous comptons entre 1 200 000 et 1 500 000 déplacés syriens », précise-t-il. « L’État libanais n’a pas distingué entre ouvrier et déplacé, d’où la grande marge de différence entre les deux chiffres », poursuit-il. Historiquement, le Liban accueille à bras ouverts les ouvriers syriens, dont le nombre varie entre 400 000 et 600 000. « En période de reconstruction, après la guerre civile, on estimait leur nombre à 800 000 ouvriers », souligne M. Sayegh. Qui est ouvrier et qui est déplacé ? « Il revient au ministère du Travail et à la Sûreté générale d’effectuer ce travail », répond-il.

Entre réfugiés et déplacés
Le Liban n’est pas un pays-refuge. Il ne fait pas partie des pays signataires de la Convention de 1951 relative au statut de réfugié et de son protocole de 1967, justement pour que les réfugiés ne deviennent pas résidents, et par conséquent n’acquièrent pas plus tard la nationalité libanaise. Mais, paradoxalement, le pays du Cèdre est considéré comme la plus grande concentration de réfugiés et de déplacés dans le monde avec un taux de 35 %, indique M. Sayegh. Cette concentration de réfugiés et de déplacés est loin d’être homogène. À la base, il s’agit de distinguer entre « réfugié » et « déplacé ». Au Liban, seuls les Palestiniens ont le statut de réfugiés et sont régis par l’Unrwa, agence onusienne conçue spécialement pour cette cause.
Selon M. Sayegh, « il ne s’agit plus d’Autorité palestinienne, mais de l’État palestinien, même s’il ne possède pas un statut de membre à part entière au sein de l’Assemblée générale de l’ONU ». « Même si l’ambassadeur de la Palestine l’a ensuite nié, cet État a pris la décision, en 2011, de fournir aux réfugiés des numéros palestiniens nationaux qui les rendent citoyens palestiniens et de les doter d’un passeport palestinien », souligne M. Sayegh avant d’expliquer : « À travers cette mesure, L’État palestinien compte protéger le citoyen palestinien sans lui ôter son statut de réfugié. Israël, de son côté, comprend cette mesure comme un moyen d’attribuer aux réfugiés un statut de résidents dans les pays d’accueil et d’assurer ainsi leur implantation en dehors de la Palestine. » Le Liban serait ainsi invité à conserver la double identité, celle de citoyen palestinien et de réfugié au Liban. « Nous aurons donc des Palestiniens réfugiés au Liban au lieu de réfugiés palestiniens au Liban, commente M. Sayegh. Cette problématique ne se pose pas pour les Syriens qui conservent leur identité nationale, leurs cartes d’identité, leurs passeports, avec en plus un statut de déplacés. »
Par rapport à la spécificité libanaise, les réfugiés palestiniens et les déplacés syriens ont deux statuts légaux différents. D’où la différence entre le processus du retour de chacun d’eux chez soi. « Israël interdit le retour des réfugiés palestiniens chez eux, notamment par crainte d’un ébranlement total au niveau de sa démographie », affirme M. Sayegh. « Le régime syrien, de son côté, n’interdit pas le retour des déplacés qui n’attendent que la fin de la guerre pour retourner en Syrie », enchaîne-t-il.
M. Sayegh tient à relever la ressemblance au sujet de l’expérience de l’accueil par le Liban des deux peuples. « C’est par une résilience miraculeuse que le Liban a réussi à recevoir, les bras et le cœur grands ouverts, les réfugiés et les déplacés, en dépit de l’absence de politiques publiques gérant ces dossiers », déclare-t-il. « Cependant, une restauration des relations entre le Liban et les deux peuples reste à faire. Tout comme les Palestiniens se sont excusés des atrocités commises durant la guerre, et vice versa, un travail similaire doit impérativement être effectué au plan libano-syrien », conclut-il.