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Ersal : à défaut d’une vraie bataille, la guerre verbale…

 

 

Jeanine JALKH | OLJ

Ne pas avaliser une intervention de l’armée dans une bataille contre les jihadistes à Ersal et ses environs ne signifie pas nécessairement être en faveur des jihadistes. C’est la thèse simpliste que s’évertuent de défendre à cor et à cri les forces du 14 Mars et, à peine moins explicitement, le commandement de l’armée. Convaincue qu’une présence policière et ponctuelle dans la ville et ses confins, exclusivement, éviterait au pays un affrontement sanglant et un enlisement vers une discorde communautaire, la troupe s’accroche à la thèse souverainiste de la défense du seul territoire libanais, craignant comme la peste un éventuel enlisement dans le bourbier syrien.

Ce raisonnement, qui va à l’encontre du principe de la guerre préventive parrainée par le Hezbollah, s’inspire à l’évidence de l’expérience de l’implication du parti chiite en Syrie et de ses conséquences néfastes sur le Liban.

La polémique autour de Ersal n’a pas manqué de relancer la guerre verbale suscitée depuis quelques semaines autour de la question du « nettoyage » souhaité par le Hezbollah dans la ville de Ersal et ses environs, par le biais de l’armée de préférence, sinon par les « propres moyens » du parti.
À cette fin, les tenants du 8 Mars ont provoqué au cours du week-end dernier une escalade verbale de grande ampleur ponctuée de pointes incisives à l’encontre du courant du Futur, mais aussi, de manière plus subtile, de l’institution militaire à qui l’on reproche sa « passivité ».
Accusé par le parti chiite – plus précisément par cheikh Nabil Kaouk – de miser sur « la présence des bandes takfiristes dans le Qalamoun et les jurd de Ersal et de Syrie, et d’œuvrer à les abriter sous une tente bleue » – symbolisme de couleur oblige –, le courant du Futur ne pouvait que répliquer, par la bouche de son ministre faucon, Achraf Rifi. « Que celui qui croit qu’il peut toucher à Ersal se détrompe. La ville est une ligne rouge et nous déploierons tout ce qui est en notre pouvoir pour la protéger », a ainsi lancé le ministre.

Le secrétaire général du Futur, Ahmad Hariri, a fustigé de son côté la position du Hezbollah qui menace de lancer l’assaut contre Ersal. « L’existence de Ersal est antérieure à votre présence et Ersal ne sera pas le bouc émissaire de votre fronde contre le consensus national », a déclaré M. Hariri en réponse aux menaces du Hezbollah. Quant au vice-président de la Chambre et membre du directoire du Futur, Farid Makari, il a souligné que la campagne menée par le 8 Mars contre Ersal vise en réalité le commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi, pour des considérations liées à la présidence.
Dans les milieux proches du Futur, le credo reste immuable : « Ersal relève de l’unique responsabilité de l’armée. »

Dans le camp opposé, le vice-président du conseil exécutif du Hezbollah, cheikh Nabil Kaouk, a tenu à réitérer sciemment les propos du chef du bloc parlementaire du parti chiite, Mohammad Raad, accusant les dirigeants arabes « de s’affubler de modération et de dissimuler dans leurs manches des poignards et des armes, ceux du terrorisme takfiriste ». La pointe est, indirectement, dirigée contre leurs alliés du 14 Mars.
Le matraquage en faveur de « frontières nettoyées de toute présence terroriste » a été relayé par plusieurs députés du Hezbollah. Ali Fayad a ainsi dénoncé les « discours provocateurs visant à obstruer la bataille », notamment dans le jurd de Ersal qu’il a qualifié « de région occupée » par les takfiristes. Sans oublier de rappeler que ce sont les propres propos du ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk.

Dans ce qui est apparu comme un ultimatum adressé à l’État, le numéro deux du parti chiite, cheikh Naïm Kassem, a sommé le gouvernement de prendre les mesures nécessaires « pour libérer le jurd de Ersal ». Avant de s’interroger : « Doit-on attendre 22 ans sous le prétexte de la responsabilité exclusive de l’État ? »
La « réponse » est venue du député Nawaf Moussaoui qui a clairement laissé entendre que rien n’empêrchera le Hezbollah de prendre les mesures nécessaires pour repousser les jihadistes. « Le Hezbollah ne permettra pas que le jurd devienne un siège pour les takfiristes », a renchéri cheikh Kaouk. )

Le « oui… mais » de Hariri à Chamel Roukoz

Devenue désormais un dossier concomitant à celui des nominations mais aussi de l’élection présidentielle, la situation sécuritaire à Ersal a prêté le flanc aux marchandages politiques, comme le veut la tradition au Liban. Dans une intervention frontale, le chef du Courant patriotique libre, Michel Aoun, n’a pas ménagé l’institution militaire hier, dont le commandement est convoité par son gendre, le général Chamel Roukoz. « Le gouvernement observe passivement et l’armée se confine dans l’attentisme. Une armée qui ne prend pas l’initiative sera brisée », a-t-il asséné dans une déclaration.

Quand bien même les tenants du courant du Futur affirment n’avoir « aucun veto » sur qui que ce soit en matière de candidats à la tête de l’institution militaire, leur position reste ferme en ce qui concerne la priorité à donner à l’élection présidentielle, réitérée hier encore par M. Rifi. À cet égard, M. Saad Hariri aurait informé le général Roukoz qu’il le soutiendrait pour le poste de commandant en chef de l’armée, « quel que soit le futur président », mais à condition que le nouveau président soit élu au préalable, en toute priorité.
Bref, autant de contentieux sur lesquels devrait plancher aujourd’hui le Conseil des ministres. La situation militaire à Ersal sera une fois de plus à l’ordre du jour, mais également, le dossier des nominations du commandant en chef de l’armée et du directeur des FSI.

Devenu matière à surenchère et relié par la force des choses à la polémique autour de Ersal, le dossier des nominations ne devrait pas toutefois susciter de plus amples remous aujourd’hui, croient savoir les milieux du 14 Mars. La solution serait, selon des sources bien informées, le traditionnel report de cette échéance conflictuelle. La proposition suggérée pourrait être le report de la date de la mise à la retraite du général Ibrahim Basbous de quatre mois, de manière à la faire coïncider avec le départ escompté du général Jean Kahwagi en septembre prochain. Cela permettrait tout au moins au gouvernement Salam de gagner quelques mois, dans l’espoir de voir de nouvelles solutions mûrir entre-temps. Pas de surprise escomptée donc aujourd’hui, d’autant que les nominations sont portées à maturité « en dehors du Conseil des ministres », comme l’a souligné le ministre d’État pour la Réforme administrative Nabil de Freige.

La séance sera donc un nouveau test de résilience pour le gouvernement dont la stabilité et l’avenir dépendent désormais de la capacité des parties en présence à pouvoir gérer les retombées de cette nouvelle crise sans en arriver à la dislocation de l’exécutif. Or, personne ne semble prêt pour l’heure à renverser la table en dépit des menaces de démission qui continuent d’être brandies par le Courant patriotique libre, « dont le seul but est de soumettre le Conseil des ministres à ses desiderata », souligne le député Jean Oghassabian.