Site icon IMLebanon

Eurosolitudes

L’éditorial

Un bon divorce vaut-il toujours mieux qu’un mariage branlant ? Des deux conjoints, lequel, davantage que l’autre, est-il susceptible de s’en mordre un jour les doigts ? Et surtout la tentation de la rupture ne risque-t-elle pas de s’étendre, au sein d’une vaste communauté patiemment, laborieusement assemblée tout au long des six dernières décennies ?
Ce ne sont là que quelques-unes des incertitudes que suscite la volonté du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne, au terme d’une cohabitation de 43 ans. La livre sterling au plus bas, affolement des places boursières, branle-bas de combat dans les hautes sphères de l’UE : si elle a parcouru la planète entière, l’onde de choc du séisme n’aura certes pas manqué de ravager littéralement l’épicentre londonien. Dès hier matin, le Premier ministre britannique David Cameron se décrétait lui-même out, tirant ainsi les conséquences de ce hasardeux, malheureux pari qu’aura été l’organisation d’un référendum dont il escomptait la mise en minorité des détracteurs de ses options européennes.
Car c’est finalement un peuple divisé – jeunesse largement europhile et seniors eurosceptiques, ou même carrément europhobes – que l’apprenti sorcier laisse à la garde de son successeur. C’est un royaume passablement désuni, au sens géographique, territorial du terme, qui émerge de l’aventure. Prenant le contrepied des Anglais et des Gallois, les Écossais entendent se raccrocher de plus belle au Vieux Continent et menacent même de relancer, par la voie d’une nouvelle consultation populaire, leur rêve d’indépendance.

Idem pour l’influent Sinn Féin, qui a fait sensation en réclamant un plébiscite sur une Irlande unifiée. C’est à de toutes autres fins, bien sûr, que plus d’un des courants nationalistes et populistes, galvanisés par le précédent britannique, ont vite fait d’exiger, à leur tour, le recours au référendum. Comme pour sacrifier à la mode, même le président turc Erdogan menace de s’en remettre au verdict de son peuple, pour ce qui est de sa vieille – et stérile – quête d’adhésion à l’UE.
Alors, finie, morte, l’Union, comme s’en félicite bien prématurément le leader du parti anti-immigration Ukip, Nigel Farage, célébrant une indépendance retrouvée ? Comme semble y applaudir le non moins outrancier Donald Trump inaugurant, en Écosse même, un de ses parcours de golf ? Holà, pas si vite, gentlemen. Car si la bombe made in UK a fait incontestablement de gros dégâts, il n’est pas interdit d’espérer qu’elle arrachera à leur routine ceux qui président à l’unification européenne. C’est précisément à un tel sursaut qu’appelle François Hollande, évoquant les insuffisances dans le fonctionnement de l’Union et la nécessité pour celle-ci d’être contrôlée et comprise par les citoyens. Même son de cloche à Berlin, prochain théâtre d’un minisommet, où Angela Merkel s’alarme des doutes apparus au sein des populations.
Harmonisation fiscale, disparités dans les niveaux de vie, chômage, coopération antiterroriste, flux d’immigrants, charges relatives aux endettements des États membres : nombreux sont les défis qu’est tenue de relever la construction européenne. Vient de s’y ajouter, avec force, la perte de contact entre bâtisseurs et occupants de la maison européenne : entre élites dirigeantes, technocrates et bureacrates, multinationales, groupes bancaires, d’une part, et gens ordinaires, d’autre part, Or, même réduite à l’échelle européenne, la mondialisation ne va pas, on le voit, sans réactions de repli à l’intérieur de frontières bien gardées.
Pour l’UE, le péril le plus immédiat, c’est bien ce genre de réflexe insulaire : cette singulière forme de cocooning, comme disent les Anglais.