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Face à la chevauchée égoïste de Aoun, la colère du patriarche Raï…

 

Philippe Abi-Akl

La septième tentative d’élire un président de la République, mercredi, s’est encore soldée par un échec : les députés du Hezbollah et du Courant patriotique libre (CPL) ont encore boycotté la séance, en attendant une entente ou un consensus autour de l’élection du général Michel Aoun. Le vide présidentiel n’a pas été sans avoir des répercussions – paralysantes – sur la Chambre des députés et le Conseil des ministres. Le Parlement ne légifère plus, le gouvernement ne fonctionne guère et les intérêts des citoyens peuvent attendre.
Une telle situation suscite une multitude d’interrogations dans les rangs du 14 Mars et à Bkerké, essentiellement résumées en une question vitale : vers où ce troisième vide présidentiel depuis 1975 nous mènera-t-il cette fois ?
En 1989, à la fin du mandat Gemayel, les chrétiens avaient boycotté les séances électorales et refusé la candidature de Mikhaël Daher, que l’accord Murphy-Assad voulait imposer, rappelle ainsi un ancien chef de la diplomatie. Le général Aoun avait été nommé à la tête d’un cabinet de transition, formé des membres du Conseil militaire. Sous l’impulsion de Damas, les trois ministres musulmans avaient démissionné, laissant Aoun se partager le cabinet avec les généraux Issam Abou Jamra et Edgar Maalouf. La tâche de ce cabinet était de préparer au plus vite le terrain pour que la présidentielle ait lieu, mais les guerres de libération et d’élimination, entrecoupées par la réunion de Taëf, ont ravi la vedette à l’échéance. Le vide a donné lieu à une réforme constitutionnelle, avec une révision des prérogatives du président de la République et l’instauration de la parité islamo-chrétienne comme formule politique. Si Aoun avait pavé la voie à l’élection, Taëf n’aurait probablement pas eu lieu, ajoute cet ancien ministre.
En l’an 2007, à la fin du mandat prorogé d’Émile Lahoud, bis et repetita. L’élection du général Aoun, retourné d’exil en 2005, étant impossible, la présidentielle est restée bloquée, jusqu’au coup de force du 7 mai 2008 et à l’accord de Doha. Lequel accord a aussitôt instauré la répartition par tiers (sunnite/chiite/chrétien) d’une manière implicite, à travers l’octroi du tiers de blocage au 8 Mars au sein du cabinet, et ouvert la voie à l’élection de Michel Sleiman à la magistrature suprême.

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En 2014, nous voici donc au troisième acte du vide présidentiel. Après la fin du mandat Sleiman, le même Michel Aoun, cheval de course non déclaré du 8 Mars, bloque l’échéance et refuse d’annoncer sa candidature en attendant un accord entre les leaders politiques qui écarterait les autres prétendants et lui ouvrirait la voie royale de Baabda. Pour garantir son élection, le chef du CPL s’agrippe à la carte du quorum, paralysant à l’usure jusqu’à ce que le triomphe advienne, faute de combattants.
Cette situation a poussé le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, lors de sa réunion lundi soir avec le général Aoun, en présence d’un certain nombre d’évêques, à poser au chef du CPL la question suivante, en substance : où entraînez-vous le pays et où le vide nous mènera-t-il cette fois encore, alors que nous perdons aussi bien nos positions que notre présence sur la scène politique ?
Le patriarche aurait exprimé sa stupeur face à la légèreté avec laquelle les chrétiens, et les maronites en particulier, traitent la présidentielle, comme si le vide était un phénomène naturel à envisager sans crainte. Mgr Raï a également appelé le général Aoun à se réunir avec le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, pour que tous deux renoncent d’un commun accord à leurs candidatures respectives en faveur d’une tierce personne. Michel Aoun aurait refusé cette proposition, soulignant son attachement à sa candidature dans la mesure, a-t-il dit, où il est « le plus fort », le « leader chrétien » qui « dispose du plus grand bloc parlementaire chrétien et maronite (19 députés chrétiens sur 34) », et qu’il « ne répéterait plus l’erreur faite en 2008, lorsqu’il s’était retiré de la course en faveur de l’élection du général Sleiman ». « Ceux qui ont pleuré ce jour-là de frustration, je veux qu’ils versent aujourd’hui des larmes de bonheur », a ajouté le général lors de son entretien mardi soir à l’OTV.
La réunion de Bkerké ne s’est pas caractérisée par sa quiétude. Le patriarche maronite a dit tout ce qu’il avait sur le cœur, franchement, blâmant ceux qui bloquent l’échéance présidentielle et mettant l’accent sur la nécessité de s’entendre sur un candidat consensuel et d’entente entre tous, maintenant qu’il est clair que les quatre pôles maronites ont épuisé leurs chances. Aoun a répliqué qu’il n’assurerait le quorum à aucun candidat et qu’il maintiendrait sa candidature, sans jamais renoncer à Baabda.
Les positions de Aoun, dans son entretien à l’OTV, ont bien reflété le climat de la réunion, marquée par une grosse crispation, selon l’un des participants, qui note, non sans énervement, que le chef du CPL fait passer son intérêt personnel avant l’intérêt général. L’un des participants aurait demandé au général Aoun s’il était capable de s’assurer l’appui des différentes forces politiques, ce à quoi le chef du CPL a répondu que le maintien de sa candidature pousserait les parties à le soutenir et que les développements extérieurs aideraient en cela également.

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Mais le chef du bloc du Changement et de la Réforme ne s’est pas arrêté là. Il a ainsi évoqué devant les évêques la nécessité de modifier les alliances et de briser la polarisation politique à travers des législatives, qui devraient avoir lieu avant la présidentielle. C’est à la nouvelle Chambre, a-t-il dit, qu’il reviendrait d’élire un nouveau président, dans la mesure où le Parlement actuel est illégitime et anticonstitutionnel, soulignant qu’il attend encore les résultats du recours en invalidation déposé, dans ce sens, devant le Conseil constitutionnel après la prorogation du mandat des députés. Pour Aoun, les législatives représentent le seul moyen de trouver une solution à la crise, et les forces politiques devraient d’ores et déjà s’atteler à la tâche pour s’entendre sur une nouvelle loi électorale.
À cela, des sources du 14 Mars répondent que l’échéance présidentielle devrait avoir la priorité sur toute autre question et que l’urgence incombe d’élire immédiatement un nouveau chef de l’État pour relancer l’action institutionnelle. La proposition du général Aoun n’est, dans cette optique, qu’une tentative de se livrer à un étalage de force pour se re-légitimer à travers les élections et garantir, de cette manière, son sacre à la présidence, notamment grâce à ses alliances électorales. Il pense ainsi prouver qu’il est effectivement le plus fort parmi les chefs chrétiens et qu’en tant que représentant de la rue chrétienne, il est de son droit de siéger au palais présidentiel.
Mais il y a mieux encore : si les autres candidats refusent de lui ouvrir la voie de Baabda et si le 14 Mars refuse la proposition d’aller aux législatives, le chef du CPL suggère une refonte du système politique.
Irons-nous donc vers un nouvel accord, au moment où il est de plus en plus question d’une Constituante et d’une nouvelle révision de la formule politique – et ce en dépit des dénégations du secrétaire général du Hezbollah au sujet de son adhésion à la répartition par tiers ? Signalons, à ce sujet, que la France avait démenti les propos de Hassan Nasrallah, rappelant que ce sont des responsables iraniens qui avaient proposé cette nouvelle formule aux Français en 2008, contrairement à ce que dit le chef du parti chiite…
Pour des sources diplomatiques, il est clair que la période de vide est partie pour durer, de sorte que certaines parties viennent à affirmer que le système libanais n’est plus capable d’évoluer et qu’il a besoin d’une bonne révision. Selon un ancien député présent à Taëf, le Liban a plus que jamais besoin d’un arbitre, d’une autorité de référence aujourd’hui perdue, depuis que les prérogatives du président de la République ont été transposées au Conseil des ministres sans contrepartie. Le chef de l’État n’a plus les possibilités aujourd’hui d’assurer sa fonction d’arbitrage. Il est démuni. Ce qui a poussé le Michel Sleiman, dans son discours d’adieu, à évoquer des propositions de réformes à ce sujet pour sortir la présidence de l’état de marginalisation dans laquelle elle se trouve.
L’insoutenable légèreté des députés a poussé Béchara Raï à sonner le tocsin avant qu’il ne soit trop tard. Le patriarche maronite invite à prendre des mesures contre les députés qui boycottent la Chambre et qui manquent à leur devoir constitutionnel, national et éthique. Sera-t-il enfin entendu ? Ou bien ce troisième vide mènera-t-il à une nouvelle Constitution et une nouvelle formule politico-confessionnelle ?
En de tels moments de vide sidéral, tout – oui, tout – est possible