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Faux et usage de faux

La politique est l’art du possible. Certes. Mais lorsqu’elle n’est fondée sur aucune valeur universelle, lorsqu’elle ne s’aligne sur aucune ligne directrice stable, quand elle ne fait preuve d’aucune cohérence, elle aboutit à la loi de la jungle. Et par ricochet, cette absence de repères qui en résulte ne peut qu’ébranler les sociétés développées les plus stables.

Tout au long des dernières décennies, certains dirigeants américains nous ont abreuvés de beaux discours sur la nécessité de promouvoir les droits de l’homme, les pratiques démocratiques et les libertés publiques et individuelles. Les opinions publiques dans nombre de pays dits du Sud ont, bon gré mal gré, bien voulu croire ces belles paroles. Une telle crédulité est due au fait que ces candides de la chose publique omettaient souvent d’admettre que la realpolitik a des raisons que la raison ne connaît pas. Cela constitue, à n’en point douter, une réalité (très) amère. Mais dans le cas d’une grande puissance, lorsque la realpolitik verse totalement dans l’incohérence intégrale, le cafouillage le plus absolu et les contradictions à répétition, c’est toute la crédibilité de cette puissance et la confiance que l’on pourrait placer en elle qui se trouvent gravement atteintes. C’est hélas la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’administration Obama.

Le 11 mars, la porte-parole de la diplomatie américaine, Jennifer Psaki, déclarait sans ambages : « Comme nous le disons depuis longtemps, Assad doit partir et être remplacé au terme d’une transition politique et négociée représentative des Syriens. » Quatre jours plus tard, le secrétaire d’État John Kerry soulignait que Washington devra « négocier » avec Assadpour mettre fin au conflit syrien. En clair, cela devrait signifier que l’administration Obama veut discuter avec le président syrien des conditions de son départ, si l’on en croit les termes de la déclaration de Mme Psaki.

Cette position officielle illustre soit une naïveté déconcertante, soit une méconnaissance totale de certaines réalités les plus élémentaires. Songer un seul instant que Bachar el-Assad se prêtera au jeu d’une « négociation » portant sur son éviction revient à faire montre d’une incommensurable cécité politique. D’ailleurs, le régime syrien n’a pas tardé à saisir la balle au vol, affirmant que John Kerry a reconnu la « légitimité » d’Assad. Ce dernier a vite fait de sauter aux conclusions, en relevant, avec sa traditionnelle arrogance, que les États-Unis devraient joindre les « actes » à la parole après la déclaration du secrétaire d’État.

Damas s’emploie ainsi à imposer ses propres conditions à la « négociation » prônée par M. Kerry. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’on sait que Washington est prêt à tout céder pour aboutir à un accord avec l’Iran. Sauf qu’un tel empressement qui se fait au détriment de toutes les positions précédentes adoptées par cette même équipe Obama a pour résultat ce que Walid Joumblatt a résumé en une petite phrase lapidaire : « Les Américains sont de grands menteurs. » Une façon crue de dire que l’actuelle administration US a perdu – et pour de bon – toute crédibilité devant les opinions publiques dans le monde. Surtout aux yeux de ceux qui se faisaient encore quelque illusion au sujet de la cohérence de la politique étrangère de Washington.