Propos recueillis par Sandra Noujeim
À l’occasion de la fête nationale française, l’ambassadeur de France Bruno Foucher choisit d’adresser des messages amicaux, mais non moins fermes, aux Libanais, dans le cadre d’une rencontre à bâtons rompus avec des journalistes de la presse écrite.
Le premier message porte sur le blocage du gouvernement et ses conséquences sur la mise en œuvre de la conférence CEDRE d’avril dernier à Paris – qui prévoit de financer sur six ans des projets d’infrastructure en contrepartie de réformes structurelles devant être mises en œuvre par le nouveau cabinet – et celle de la conférence de Rome II de soutien à l’armée et aux Forces de sécurité intérieure de mars dernier. Ces deux conférences sont au cœur d’une « feuille de route entre le Liban et la communauté internationale » que la France a lancée puis construite, et pour laquelle l’ambassadeur, en mission au Liban depuis un an, a consacré la plus grande partie de son énergie.
« Il y a une séquence de mars à avril dernier (…), celle d’un soutien international marqué pour le Liban », que celui-ci n’avait plus connu depuis un certain temps, affirme l’ambassadeur. Un soutien auquel les pays du Golfe ont été associés à l’issue de démarches faites dans les pays en question et cela en dépit des malentendus antérieurs (l’épisode de la démission forcée du Premier ministre Saad Hariri à Riyad en novembre 2017, NDLR) », dit-il, en constatant un retour à « une normalité indispensable » dans les rapports entre Riyad et Beyrouth. En atteste aussi le choix saoudien de « réactualiser sa ligne politique et diplomatique » en faveur de tels rapports. Cela pour dire que « la stabilité du Liban, son développement, la consolidation de son économie sont des sujets qui préoccupent l’ensemble de la communauté internationale », ajoute-t-il. Il est entendu en effet que le Liban est « un modèle de coexistence pour toute la région » : « Si les choses dérapent ici, on n’aura plus de raison d’espérer ailleurs. »
Un Parlement aux majorités « fluides »
Mais ce « contrat passé entre la communauté internationale et le Liban (…) ne pourra avancer » sans la formation d’un gouvernement, condition préalable à la mise en œuvre des réformes « urgentes » prévues par la conférence de Paris. « Je trouve que le gouvernement tarde à se former », dit-il.
Interrogé sur le nouvel équilibre des forces au sein du Parlement, il réfute la lecture d’une majorité acquise au Hezbollah. « Je crois que les majorités seront fluides et changeront en fonction des dossiers », dit-il. C’est sous cet angle d’ailleurs que la participation du Hezbollah, parti visé par les sanctions américaines, au sein du gouvernement ne devrait pas forcément constituer un obstacle à la mise en œuvre de CEDRE. « Nous entendons des craintes s’exprimer sur une collaboration sincère du Hezbollah à la mise en œuvre de la conférence, mais en pratique c’est avec la Primature et le CDR que les projets seront conduits », souligne-t-il.
Le projet de General Electric-France
S’il tempère sa mise en garde contre un retard dans la formation du gouvernement, Bruno Foucher ne manque pas de décrire les conséquences négatives qui résulteraient d’un immobilisme durable. « CEDRE a pour vocation de relancer l’économie et d’améliorer le quotidien des Libanais qui traversent des difficultés importantes. C’est pour cette raison que nous estimons que certains dossiers pourraient être mis en œuvre de façon prioritaire, comme l’électricité, la gestion des déchets ou encore l’eau qui est au cœur de la conférence de Paris », dit-il.
À Paris, General Electric-France a fait des propositions concrètes pour apporter au Liban la production d’électricité dont il a besoin, cela « dans un délai de dix mois ». Même si d’autres projets sont proposés à ce niveau par d’autres entreprises étrangères, ou encore jusqu’à nouvel ordre par le ministère de l’Énergie (les barges), l’ambassadeur de France défend pour la première fois de manière officielle le projet de GE-France, qu’il pense être le moins coûteux. Mais « c’est à l’État libanais de choisir les projets de réforme les plus économiques pour lui », nuance-t-il.
Le comité de suivi de CEDRE
La mise en œuvre du comité de suivi de la conférence de Paris est également en suspens. Ce comité, rappelle l’ambassadeur, sera « chargé de suivre dans le détail la mise en œuvre des réformes et des projets listés dans le (plan national d’investissement en infrastructures – Capital Investment Program, NDLR) CIP ». C’est sur ce point que CEDRE se différencie des autres conférences (Paris 1, 2, 3) tenues dans le passé. Ce comité sera « un lieu d’échanges entre le Liban et les partenaires », non pas « un comité de suivi international contre le Liban ». Il n’a pas encore été constitué, mais il devrait l’être sitôt un gouvernement entré en fonctions.
La visite du président français
Le président Emmanuel Macron a confirmé qu’il entendait se rendre au Liban. Il a différé sa visite prévue en avril pour des raisons de calendrier français. La date de la visite n’a pas encore été fixée, mais devrait intervenir « dans les huit prochains mois, autour de la fin de l’année j’espère », confie M. Foucher. La visite de la ministre française des Armées, initialement fixée au début du mois de juillet, a elle aussi été reportée, faute d’interlocuteurs en position de responsabilité, en l’occurrence le ministre de la Défense en exercice.
Craintes pour la sécurité du Liban
L’ambassadeur réitère « le vœu que le Liban ne se mêle pas de la crise d’un pays voisin et que le Hezbollah mette fin à sa présence en Syrie. Il y a un risque manifeste d’engrenage dont personne ne veut ici ». Et de réitérer sa position critique contre les implications du parti chiite à l’étranger, qu’il avait formulée une première fois en mars dernier : « Nous considérons le Hezbollah dans sa libanité, en tant que parti politique. Nous lui parlons comme à tout autre parti libanais. En revanche, nous ne reconnaissons pas son activité à l’étranger, qu’il conduit à son compte et sans l’accord du gouvernement libanais. » Et de préciser : « La politique de dissociation est peut-être un discours générique, mais c’est un discours que nous tenons au Hezbollah, quand nous disons qu’il n’a rien à faire en Irak, au Yémen ou encore en Syrie. Le danger d’avoir un pied en Syrie, c’est justement d’entraîner le Liban dans un conflit qui n’est pas le sien », dit-il.
Le régime syrien « trie » les réfugiés
En parallèle, sur le dossier des réfugiés syriens, M. Foucher estime que Damas entrave le retour de ceux qui ont exprimé le souhait de rentrer. Preuve en est, dit-il, la récente expérience de Ersal (nord-est de la Békaa), où, sur les 3 000 inscrits auprès de la municipalité pour rentrer, seuls 449 ont été retenus par le régime. Il souligne « l’exercice de tri » conduit par le pouvoir syrien.
L’ambassadeur précise que la France « ne lie pas le retour des réfugiés à une solution politique en Syrie (…). Ainsi, lorsque les réfugiés expriment une vraie volonté de rentrer dans une zone qui est à peu près stable, on ne s’y oppose pas, tant qu’un minimum de paramètres de sécurité est vérifié », explique-t-il. C’est cette vérification conduite par le HCR qui a été « comprise à tort comme une opposition au retour », créant « des malentendus et des crispations entre le gouvernement et le HCR », juge-t-il. Il précise également que le HCR et les autorités locales qui proposent des initiatives de retour « se retrouvent sur le fond de la question », à savoir que l’avenir des Syriens est en Syrie. Or, « le principal point de blocage des initiatives locales libanaises est l’opacité de la position de Damas. C’est Damas qui ne veut pas qu’ils rentrent ou qui choisit qui rentre » dit-il. Par ailleurs, les réfugiés qui rentrent ne peuvent être suivis par le HCR qui n’obtient pas d’autorisation d’accès aux zones syriennes vers lesquelles reviennent ces réfugiés.
S’il dit prendre acte des initiatives locales de retour, l’ambassadeur n’y inclut pas toutefois l’initiative prise par le Hezbollah de créer des bureaux dans ses zones d’influence au Liban pour y inscrire les réfugiés désireux de rentrer en Syrie sous son parrainage. « Cette initiative mérite d’être clarifiée. En tout état de cause, il revient au gouvernement libanais de coordonner toutes les initiatives qui doivent rester placées sous son entière responsabilité », dit-il.
Par ailleurs, compte tenu du fardeau que représente la présence des réfugiés syriens au Liban, l’ambassadeur ne manque pas de rappeler que « la priorité de l’aide internationale française est au Liban, qui est le premier pays récipiendaire de notre assistance dans la région avec 440 millions de dollars US d’aide pour 2018 à 2020 ».
Francophonie
C’est enfin un renouveau que promet l’ambassadeur en faveur de la francophonie au Liban. Il s’est attelé depuis un an à la tâche d’élaborer une feuille de route, en réponse au souhait du président français. Une feuille de route devenue « extrêmement ambitieuse ». Axée notamment sur l’éducation, elle prévoit « le doublement des effectifs des écoles françaises, l’augmentation des bourses, le doublement des labels ». Est aussi prévue une amélioration qualitative de l’enseignement au Liban : une meilleure formation des enseignants, grâce à l’Institut de formation pédagogique de l’ESA, créé il y a un an ;
une amélioration des outils d’apprentissage du français, notamment dans les zones rurales, comme, possiblement, dans le Hermel ou dans le Liban-Sud. De ses visites dans ces régions, M. Foucher a pu constater que l’intérêt des élèves pour le français est grand mais desservi par l’absence, en dehors des salles de cours, de toute référence à la langue française. Faciliter l’accès aux médias français dans le but de consolider un environnement francophone qui n’existe pas toujours pourrait être une solution, estime le diplomate, qui ne perd pas de vue le fait que « le Liban occupe la première place mondiale en termes d’élèves scolarisés dans le système français, loin devant le Maroc, qui est à la deuxième place ».