Pour la première fois depuis le début de la crise de Syrie, les États-Unis se sont donc décidés à intervenir militairement dans ce pays au moyen de frappes aériennes. Un tantinet tardive tout de même, cette démonstration de puissance yankee qui, dans la nuit de lundi à mardi, visait l’État islamique dans la région de Raqqa, proche de l’Irak ? Certes, et même deux fois plutôt qu’une.
Car en ravalant, l’an dernier, sa menace de sévir contre le régime Assad, coupable de gazer son peuple, Barack Obama n’avait pas seulement perdu la face. Il avait surtout perdu l’occasion de donner un sérieux coup de pouce à l’opposition laïque et démocratique : cela à une époque où Daech, al-Nosra et consorts n’étaient encore qu’un ramassis de fanatiques s’acharnant à se ménager une place au brûlant soleil de la révolution. Et où nul ne pouvait imaginer l’émergence d’un inquiétant califat transfrontalier entre Syrie et Irak…
Pour meurtrières et dévastatrices qu’aient pu être ces frappes aériennes, elles ne font, par ailleurs, que traiter d’un seul volet de la question syrienne. C’est un Barack Obama rayonnant qui se félicitait hier de la participation active aux opérations de cinq pays arabes : satisfaction d’autant plus légitime que c’est aux musulmans eux-mêmes qu’il appartient en premier lieu d’éradiquer les faux musulmans ; mieux encore, plusieurs des monarchies arabes qui viennent de se mouiller d’aussi spectaculaire manière sont celles-là mêmes qui, dans le passé, ont financé les groupes jihadistes, jugés aujourd’hui trop dangereux. Le président américain a bien promis de faire tout le nécessaire pour venir à bout de l’EI ; mais il n’a pipé mot du reste du dossier. Dès lors, et jusqu’à nouvel ordre du moins, c’est le régime baassiste, non moins convaincu pourtant d’agissements terroristes, qui apparaît objectivement comme le premier bénéficiaire du coup de pouce tant attendu et tant de fois différé. Plutôt bizarre, non ?
Plus déroutante encore est la gigantesque partie de poker menteur dont la Syrie est actuellement l’enjeu. La Russie crie au scandale et plaide pour une légalité onusienne dont elle s’est bien passée en Ukraine. Le Royaume-Uni est en pleine valse-hésitation. La France veut bien lâcher ses Rafale en Irak mais pas en Syrie, et elle n’échappe pas pour autant aux représailles des terroristes. Des Américains ou des Iraniens, on ne sait pas exactement qui est le plus anxieux de conclure un marché portant sur les deux dossiers du nucléaire et de la lutte antiterroriste. Et si les rapports irano-saoudites sont en nette amélioration, le chef du Hezbollah persistait, hier encore, à dénoncer l’adhésion du Liban à la coalition internationale, décidée par un gouvernement où lui-même et ses alliés sont substantiellement représentés pourtant.
N’était le dramatique de la situation, c’est au vaudeville que tourne quant à lui le singulier dialogue de sourds qui a lieu entre les deux principaux concernés par les événements des dernières heures. De Damas et de Washington, qui ment avec le plus d’aplomb ? Le premier affirme avoir été courtoisement prévenu à l’avance de l’imminence des frappes US, ce qui est naturellement – et vigoureusement – démenti par le second.
Les avions furtifs, c’est désormais de la vieille histoire. Ce que n’arrive plus à détecter même le plus perfectionné des radars, ce sont les motivations secrètes, les subtiles convergences d’intérêts qui régissent les actuels développements dans la région. Du Levant en ébullition, qui diable saurait dire s’il est en train de se défaire ou de se refaire