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Geagea soutient la candidature de Aoun sur base d’un accord en dix points

 

 

C’est avec une tempête en toile de fond que Samir Geagea a officiellement annoncé hier son appui à la candidature de Michel Aoun à la présidence de la République. Même la nature a voulu se joindre à cette annonce, redoutée et attendue à la fois et qui constitue un précédent dans les relations entre le chef des Forces libanaises et celui du bloc du Changement et de la Réforme.

L’après-midi d’hier aura été longue en pourparlers à Meerab. Samir Geagea s’est d’abord réuni avec le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, le député du CPL Ibrahim Kanaan, et le responsable de la communication au sein des FL Melhem Riachi, en présence de la députée de Bécharré Sethrida Geagea. Peu de temps après, le vice-président des FL, le député Georges Adwan, s’est joint au meeting qui se déroulait à huis clos. De son côté, le général Aoun s’est rendu à Bkerké en fin d’après-midi avant de rejoindre Meerab vers 18h30.

Incompréhension et supputations
À Meerab, les supputations et analyses des journalistes allaient bon train en attendant l’arrivée du général et l’annonce « historique » de M. Geagea. Tous se demandaient ce qui a bien pu pousser le chef des FL à prendre une telle décision. Presque tout le monde est persuadé qu’il n’y aura pas d’élections lors de la séance du 8 février et que Saad Hariri continuera à soutenir la candidature de Sleiman Frangié.

Finalement, l’annonce se fait vers 19h. Le tout FL est là, aux côtés de grandes figures du 14 Mars – tels les anciens ministres Ibrahim Najjar et Salim Wardy ou le député Antoine Zahra – pour écouter Samir Geagea prononcer les mots magiques. MM. Geagea et Aoun entrent dans la salle sous les applaudissements. L’ambiance est détendue et Gebran Bassil affiche un sourire radieux. Sethrida Geagea rayonne en blanc. M. Geagea s’adonne même à quelques plaisanteries en lisant son discours, notamment à l’adresse de M. Bassil lorsqu’il évoque « la nécessité de respecter les décisions internationales et les pactes de l’Onu et de la Ligue arabe ». Même le général Aoun a un geste de la main en direction de M. Bassil à la lecture de cette phrase.
L’appui de M. Geagea au chef du bloc du Changement et de la Réforme s’articule principalement autour de la réaffirmation de l’accord en dix points conclu en juin 2015 entre les deux formations (le document d’entente). Cet accord a été l’aboutissement d’une longue série de réunions et de discussions entre les deux partis, couronnées par une réunion, en juin 2015, entre les deux leaders, la première en dix ans. Ce document stipule, entre autres, « l’appui à l’armée libanaise et l’instauration de la seule autorité de l’État sur tout le territoire » et « l’interdiction d’utiliser le Liban comme point de départ des armes et des combattants ». Il insiste également sur « la nécessité de la mise en place d’une politique étrangère indépendante qui garantirait le bien du pays ». Des affirmations qui remettent en cause certaines positions prises dernièrement par le Hezbollah, principal allié du CPL au sein du 8 Mars, notamment en ce qui concerne les relations avec l’Arabie saoudite et l’engagement en Syrie aux côtés du régime de Bachar el-Assad.

Une redéfinition des alliances
Il va sans dire que tout le Liban est en état de choc en quelque sorte. Personne ne s’attendait à ce que Samir Geagea appuie la candidature du général et renonce par là même à sa propre candidature. Une attitude qualifiée par Sethrida Geagea de quasi chevaleresque. « Je suis fière de Samir Geagea. Il a laissé tomber le Moi pour le bien du Liban. Il a mis son ego de côté afin de pallier à la vacance présidentielle », a-t-elle dit à l’issue de l’annonce. Faisant allusion aux différends qui ont opposé Samir Geagea et Michel Aoun durant la guerre civile, Mme Geagea a ajouté : « Je suis fière d’appartenir aux FL, à cause de leur sagesse et malgré les douleurs de la guerre. Ils ont réussi à tourner la page et aller de l’avant, pour le bien du Liban. » Mais si cette annonce se veut être une solution à la vacance présidentielle, elle ne fait que poser de nouvelles questions puisqu’elle remet en cause les alliances déjà établies. Certes, deux grands pôles chrétiens s’allient, mais qu’en est-il des Kataëb ? Ces derniers continuent de refuser la candidature de Michel Aoun et ont leur propre candidat, l’ancien président Amine Gemayel. On pourrait également se poser des questions sur l’attitude qu’adoptera le courant du Futur dans les jours à venir. Saad Hariri laissera-t-il tomber son appui à Sleiman Frangié, sachant que le chef des Marada a annoncé hier soir qu’il maintenait sa candidature à la présidentielle ? Et le Hezbollah dans tout ça ? Il est certes, jusqu’à présent, l’allié indéfectible de M. Aoun mais sera-t-il d’accord avec les clauses de l’accord de juin 2015 ? Selon la chaîne MTV, certains proches du Hezbollah estiment que « l’annonce du chef des FL implique une redistribution des cartes qui pourrait ramener les choses au point de départ ».
Conscient que son annonce ne ferait sans doute pas l’unanimité, M. Geagea a tenu à inviter les forces du 14 Mars à soutenir la candidature de M. Aoun. Mais répondront-elles à l’appel ? « J’invite nos alliés du 14 Mars et de la révolution du Cèdre à appuyer la candidature du général. J’invite également tous les partis indépendants à soutenir cette candidature afin de sortir de la situation de scission dans laquelle nous sommes », a-t-il dit. M. Geagea a en outre tenu à préciser que son appui au chef du bloc du Changement et de la Réforme « ne vient pas en réaction (à l’appui de Saad Hariri à Sleiman Frangié). Il se base sur les principes pour lesquels les jeunes des FL, du CPL et des partis libanais libres se sont battus face à la tutelle syrienne ».

Comme on pouvait s’y attendre, les réactions sur les réseaux sociaux n’ont pas tardé à se manifester, la plupart des gens se demandant comment ces ennemis jurés sont apparus aujourd’hui tous souriants devant les caméras. Les commentaires indignés et parfois même moqueurs sur cette alliance inattendue ont rempli la toile, ainsi que des montages photographiques railleurs.

Reste à savoir si la 35e séance pour la présidentielle verra l’élection d’un président et si ce dernier sera Michel Aoun. Car il va sans dire que l’appui des FL ne garantit pas nécessairement l’élection du général et que seul le vote permettra de le dire. Maintenant que les FL ont pris cette décision, le Hezbollah continuera-t-il à boycotter la présidentielle ? L’Iran donnera-t-il son feu vert ? Seuls les jours à venir nous le diront.