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Graines de martyrs

 

Fauchés dans la fleur de l’âge, ils n’auront dansé qu’un seul été. L’automne venu, ce sont leurs cercueils revêtus du drapeau national que l’on a vus ces derniers jours virevolter, portés à bout de bras par des marées humaines, au son de la fanfare militaire et des youyous des pleureuses : poignantes scènes devenues, au gré des secousses sécuritaires, tragiquement familières.
Ces soldats que l’on porte en terre, c’est précisément pour la terre qu’ils sont tombés : pour ce lopin que des fanatiques assassins prétendaient ravir à un pays déjà minuscule pour en faire un prétendu émirat islamique. Ce mythe n’est pas le seul à avoir volé en éclats : démenti en effet, en long et en large, le gros mensonge d’une population sunnite vouant une secrète admiration, une sournoise sympathie, aux énergumènes de Daech et al-Nosra, ne serait-ce que par réaction à l’arrogante domination du Hezbollah chiite. Des esprits égarés ont pu être séduits, certes, par la rhétorique vengeresse des jihadistes ; mais c’est incontestablement à l’armée, garante de l’ordre public, que vont les faveurs de l’écrasante majorité des habitants de Tripoli qui vivent, depuis des années, dans une sanglante anarchie. Et c’est encore à l’armée que demeure attaché, génération après génération, ce Akkar qui passe, à juste titre, pour l’inépuisable vivier de l’institution militaire.
Plus éloquents d’ailleurs que les déclarations et discours des chefs politiques sunnites, Premiers ministres et anciens Premiers ministres notamment, sont, à cet égard, les témoignages des citoyens, recueillis sur le vif au gré des télétrottoirs. Et même le plus obstiné des sceptiques ne pourrait que se rendre à l’évidence au spectacle de ce père endeuillé se disant prêt à offrir en holocauste à la patrie deux autres de ses fils, également militaires. Ou de cette mère stoppant net le flot de condoléances que lui exprimaient les compagnons d’armes de son fils pour leur prodiguer encouragements et bénédictions. Ce sont là des attitudes qui ne sauraient tromper.
Ces jeunes soldats savaient contre qui et contre quoi ils se battaient au risque de leur vie : contre une certaine et monstrueuse idée du Liban qui, par définition et par vocation, est le pays de tous et de personne. Mais c’est pour cet idéal libanais que doivent se mobiliser, avant qu’il ne soit trop tard, toutes les bonnes volontés, toutes les énergies. Car ce n’est pas tout que de faire échec à la déraison terroriste comme cela vient de se produire dans le nord du pays. C’est la raison, le simple bon sens, l’intérêt bien compris de tous, qu’il faut, d’urgence, ramener à la maison. Et cela commence par le ravalement d’un État qui n’est plus que l’ombre de lui-même, par l’élection d’un président de la République et la réactivation des autres institutions. Et cela continue par la disparition des sanctuaires miliciens et une neutralité effective face au conflit de Syrie.
Persister à s’y opposer sous les prétextes les plus insensés, c’est pousser à la radicalisation générale, c’est faire sciemment, délibérément, le jeu des terroristes. C’est condamner l’armée à d’incessantes saignées dans le même temps qu’on l’abreuve de serments de soutien, tant il est vrai en effet qu’il n’est de pire ennemi qu’un faux ami. C’est décréter que le sacrifice de soldats à peine sortis de l’adolescence n’augure pas pour autant d’un avenir meilleur pour les jeunes du Liban. C’est décider que tous les Mohammad, Georges, Ali et Ayman que nous pleurons sont morts pour rien.