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Grisailles

 

 

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Au sein du quatuor de leaders maronites de poids qui se posaient en passage obligé de toute élection présidentielle, il était le moins visible, car sans doute le moins naturellement porté sur les discours. Voilà soudain que Sleiman Frangié accapare les feux de l’actualité ; mais le citoyen, lui, y voit-il plus clair pour autant ?

L’offre de négociation globale lancée le mois dernier, tel un ballon d’essai, par Hassan Nasrallah aura été promptement saisie au bond par un Saad Hariri visiblement lassé de se morfondre entre ses deux exils de Paris et de Riyad. Un destin national octroyé à une des figures les plus en vue du camp adverse, et en échange, un retour en grâce au pays (et au pouvoir) pour le chef du courant du Futur : le troc a évidemment de quoi désemparer l’opinion publique, toutes tendances confondues. Tout au long des dernières années, le clivage entre 8 et 14 Mars a accoutumé en effet de très nombreux Libanais à ne voir les choses qu’en noir ou en blanc. Tout est de savoir, dès lors, laquelle des cinquante nuances de gris nous est, en ce moment, proposée.

Noir de suie : Sleiman Frangié tire grande fierté de son amitié personnelle avec le sanglant dictateur de Damas. Gris : oui, mais dans la conjoncture actuelle, un Bachar el-Assad dessaisi, au demeurant, d’une bonne partie de sa capacité de nuisance serait moins que jamais enclin à déstabiliser un Liban qui aurait un ami et un allié pour président. Blanc marbré de noir : farouchement maronite, homme à poigne, Sleiman Frangié a hérité des qualités de son grand-père président ; noir zébré de blanc : le problème est que ce legs n’est précisément pas fait pour rassurer tout le monde.

De toutes les questions que l’on se pose, la plus pressante cependant demeure toutefois celle de savoir quelles garanties l’intéressé est effectivement en mesure de fournir aux sceptiques, quant à des dossiers aussi explosifs, par exemple, que la calamiteuse aventure paramilitaire en Syrie, la force milicienne en tant qu’instrument de conquête politique et une loi électorale rendant justice aux diverses communautés.

Si le bazar de la décennie devait avoir un avantage, un seul, ce serait sans doute celui d’avoir peut-être initié une redistribution générale des cartes ; d’avoir, en tout cas, semé la confusion – plus encore, la suspicion – au sein des deux bords antagonistes, dont les chefs de file auront accumulé les erreurs. L’éclaircie naîtrait-elle donc de deux faillites ?