IMLebanon

Grozny 2

L’ÉDITO

 

Près de 900 raids aériens en une semaine, soit non moins de 120 par jour, en moyenne, selon les estimations fournies samedi matin par les sources de l’opposition syrienne. Depuis lundi dernier, la province d’Alep, notamment le secteur nord, croule sous le poids du rouleau compresseur russe, enclenché dans le cadre de la vaste offensive lancée en septembre dernier par le président Vladimir Poutine pour sauver Bachar el-Assad de la chute qui pointait à l’horizon. Pour offrir à son allié une victoire stratégique après une longue série de revers, le chef du Kremlin n’y va pas par quatre chemins. Sans état d’âme, il met en jeu aveuglément ses missiles balistiques et son aviation à un rythme effréné, sans établir de distinction entre populations civiles et combattants, sans épargner les marchés populaires et les centres médicaux, dont treize auraient été détruits durant le seul mois de janvier, selon des sources hostiles au régime.
Le sort réservé ainsi à la province d’Alep n’est pas sans rappeler le précédent de Grozny. En bon nostalgique de l’époque de Staline et des funestes méthodes soviétiques, auxquelles il avait été sans doute formé lorsqu’il faisait partie de l’appareil du KGB, le président Poutine avait pratiqué à la fin de 1999 et au début de l’an 2000 la politique de la terre brûlée afin d’écraser sous un déluge de feu la rébellion tchétchène. Grozny avait alors été noyée durant plus de deux mois, sans répit, sous les missiles et les bombes larguées de manière intensive et aveugle par l’aviation militaire russe, réduisant la capitale de la Tchétchénie à un vaste champ de ruines, dans toute l’acception du terme.
Dans le cas de figure de la Syrie, et présentement d’Alep, les supputations vont bon train sur les conséquences de l’équipée guerrière du Kremlin, à court et moyen terme. Pour le court terme, force est de relever que les opérations militaires en cours ont eu un effet inévitable et prévisible : un vaste déplacement de population, qui constitue l’une des caractéristiques notables de ce conflit syrien et qui représente un facteur à hauts risques dans nombre de pays. Les dizaines de milliers de réfugiés entassés depuis quelques jours à la frontière avec la Turquie dans des conditions inhumaines (et dont le nombre pourrait s’élever sous peu à 70 000, selon le gouverneur de la province turque de Kilis) sont indéniablement une source d’instabilité pour Ankara, d’abord, mais aussi pour l’Europe. Un nouveau flux de migrants illégaux risque en effet de viser le Vieux Continent, alors même que les manifestations islamophobes et antiréfugiés prennent de l’ampleur dans plusieurs pays de l’UE, comme le démontrent les multiples rassemblements organisés ce week-end.
Mais c’est au plan géostratégique que les retombées de l’offensive lancée par le président Poutine pourraient être les plus graves. L’intervention massive de l’aviation russe est, certes, déterminante dans le cours des événements, mais les combats sur le terrain sont menés essentiellement par les milices chiites pro-iraniennes – principalement libanaises et irakiennes. L’annonce par l’Arabie saoudite d’une possible intervention terrestre de ses troupes en Syrie – de concert avec la Turquie, dans le cadre de la coalition internationale contre l’État islamique – pourrait avoir de ce fait pour objectif de prendre le contrôle des régions tenues par Daech et de les remettre à des organisations sunnites encadrées par les pays du Golfe et la coalition internationale engagés dans le combat contre l’EI. Il s’agirait, en clair, d’éviter que les alliés chiites du régime syrien ne s’implantent dans les secteurs qui auraient été libérés du joug de l’État islamique.
Washington a accueilli favorablement un tel projet d’intervention saoudienne. Pour sa part, le commandant des gardiens de la révolution iranienne, le général Mohammad Ali Jafari, a affirmé que les Saoudiens « n’oseront pas » se lancer dans une telle aventure. Peut-être… Mais le cas échéant, la position réelle (et non pas médiatique) de la Russie et de l’Iran à un éventuel engagement saoudo-arabe dans la guerre syrienne, au niveau des régions contrôlées par l’EI, constituerait un important indice précurseur du sort qui sera réservé à la Syrie et aussi, par ricochet, à la région.