Yara ABI AKL
Après l’optimisme, le retour à la réalité. C’est ainsi que l’on peut résumer l’atmosphère qui a prévalu au lendemain de l’entretien qui s’est tenu jeudi à la Maison du centre entre le Premier ministre désigné Saad Hariri et le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, principalement consacré à l’examen du processus de formation du gouvernement. Même si le ministre sortant des Finances Ali Hassan Khalil, conseiller politique du président de la Chambre, Nabih Berry, a tenu à se montrer optimiste. À l’issue de sa rencontre avec M. Hariri, le ministre a fait état « d’une nouvelle dynamique quant à la mise sur pied du cabinet », espérant un progrès.
De sources bien informées, on apprend qu’avant cet entretien (qui fait suite à la rencontre entre MM. Hariri et Berry, jeudi à Aïn el-Tiné), le chef de gouvernement désigné avait dépêché le ministre sortant de la Culture Ghattas Khoury à Baabda pour s’entretenir avec le président de la République, Michel Aoun. L’occasion pour M. Khoury de lui remettre une mouture prévoyant: deux ministres joumblattistes druzes, le troisième serait choisi par M. Hariri, en collaboration avec MM. Aoun et Berry, quatre ministères aux FL (deux de services dits « essentiels », un portefeuille de service et un ministère d’État, sans un portefeuille régalien ni la vice-présidence du Conseil) et 10 au tandem Aoun-CPL (trois au président et sept au parti qu’il a fondé).
Sauf que, contrairement aux attentes de certains, la rencontre tant attendue de MM. Hariri et Bassil n’aurait pas servi à défaire les nœuds entravant encore la naissance du « cabinet d’entente nationale » que le Premier ministre chercherait à former. Il s’agit du différend opposant le CPL aux Forces libanaises au sujet de leurs quotes-parts respectives, ainsi que de la querelle entre le leader du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt et le chef du Parti démocrate libanais Talal Arslane. Ce dernier insiste à prendre part à l’équipe Hariri, contrairement à la volonté de M. Joumblatt qui veut nommer les trois ministres druzes.
À ce sujet, et selon des médias locaux, Nabih Berry pourrait intervenir au niveau du nœud druze pour faciliter la tâche à Saad Hariri. Il n’en sera rien, réagit un joumblattiste via L’Orient-Le Jour. Il assure que le président de la Chambre est favorable aux demandes du PSP, et que le parti tient à nommer les ministres druzes au sein de l’équipe Hariri.
Interrogé par L’OLJ, Marwan Hamadé, ministre sortant de l’Éducation, assure quant à lui que « la dictature de Gebran Bassil ne passera pas », soulignant que la solution commence par accorder un ministère régalien aux FL. « Dix ministres suffisent à M. Bassil et à son beau-père », ajoute M. Hamadé, dans une allusion à peine voilée à Michel Aoun. Le ministre sortant de l’Éducation réagissait ainsi à l’insistance de Gebran Bassil à intégrer Talal Arslane dans l’équipe ministérielle et au nœud portant sur la quote-part réservée au chef de l’État, ainsi qu’au différend CPL-FL.
Monopole
Pour ce qui est de la querelle entre les partis de Gebran Bassil et de Samir Geagea, les milieux aounistes se veulent optimistes. Une source parlementaire CPL fait part à L’OLJ de « nouveaux éléments » qui seraient à même de faciliter la mise sur pied du futur gouvernement. Priée d’exposer les nouvelles donnes dont il est question, la source croit savoir que les FL pourraient accepter d’être représentées par quatre ministres, dont un portefeuille de services dit « consistant ». La chaîne LBCI a d’ailleurs fait savoir hier que Gebran Bassil aurait accepté que quatre ministères, dont un régalien, soit accordés à Meerab. Des informations rapidement démenties par des milieux du CPL. Les aounistes assurent en effet que le chef de la diplomatie ne négocie qu’au nom du courant aouniste qu’il dirige, et qu’il revient à Saad Hariri d’examiner le partage des portefeuilles. Une façon pour le CPL de répondre aux accusations lancées contre M. Bassil de s’ingérer dans le processus gouvernemental. Mais en dépit de ce constat, Ibrahim Kanaan, député CPL du Metn, a déclaré à la OTV (organe médiatique du CPL) que son parti est favorable à la tenue de séances parlementaires placées sous le signe de la législation de nécessité, « dans la mesure où elles seront nécessaires si le processus gouvernemental continue à faire du surplace », a-t-il expliqué, soulignant que cette position ne vise pas à exercer des pressions sur Saad Hariri.
Du côté de Meerab, on semble soucieux de ne pas brûler les étapes. Les FL campent toujours sur leurs positions, mais n’excluent pas la possibilité de négocier leurs demandes avec le Premier ministre.
Contacté par L’OLJ, un cadre FL ne manque pas toutefois d’accuser ouvertement Gebran Bassil d’entraver le processus mené par Saad Hariri. « Il va sans dire que nous sommes une force essentielle sur la scène chrétienne. Et notre poids populaire devrait se traduire au sein du gouvernement », lance une énième fois ce proche de M. Geagea, avant de poursuivre : « Gebran Bassil refuse que les FL détiennent un ministère régalien parce qu’il veut que ces portefeuilles soient répartis entre Michel Aoun, le CPL et leurs alliés. Mais nous n’accepterons pas cela. » « Le problème réside chez celui qui veut monopoliser la représentation gouvernementale des chrétiens, ce qui explique sa volonté de mettre fin à l’entente de Meerab et de torpiller les résultats des législatives », a poursuivi le cadre FL.
Le soutien à Hariri
Saad Hariri, quant à lui, entend entamer une nouvelle phase de contacts, notamment avec les FL et le PSP.
Des entretiens qui s’inscrivent tout naturellement dans la continuité de la rencontre tenue jeudi avec Gebran Bassil. Dans les milieux du Premier ministre, on se félicite de cette réunion dans la mesure où elle aurait redynamisé les tractations gouvernementales, notant que M. Hariri se rendra à Baabda en temps voulu.
En attendant, de nombreuses personnalités sunnites ont réitéré hier leur soutien au Premier ministre face aux obstacles qui lui compliquent la tâche. C’est dans ce cadre qu’il convient de placer les propos tenus hier à Saïda par l’ancien Premier ministre Fouad Siniora. « Il faut respecter la Constitution et les prérogatives qu’elle accorde au chef de l’État et au Premier ministre désigné. Pas besoin donc d’y empiéter », a tonné M. Siniora, dans ce qui a sonné comme une critique implicite à Gebran Bassil.
De même, l’ancien ministre Adnane Kassar, ex-président des instances économiques, a exprimé, depuis la Maison du centre, son appui à M. Hariri, louant « ses efforts pour former un gouvernement dans les plus brefs délais ». « Nous soutenons le Premier ministre désigné, ainsi que ses démarches pour mettre sur pied le cabinet, lesquelles font partie intégrante de ses prérogatives », a-t-il ajouté, refusant tout empiétement sur ces responsabilités et appelant les protagonistes à collaborer avec M. Hariri pour faciliter sa mission.