IMLebanon

Hotel Cacophonia

Mieux vaut prévenir que guérir, on nous l’a suffisamment répété à l’école. Il aura pourtant fallu attendre que l’alerte au terrorisme passe au rouge pour que d’aucuns s’en souviennent. Ainsi, il n’est plus soudain question, dans les bulletins et commentaires officiels, que de sécurité préventive : le terme signifiant qu’il est nécessaire de repérer, traquer et neutraliser les terroristes avant qu’ils aient eu le temps et l’opportunité de passer à l’action. Voilà, en somme, ce qui s’appelle découvrir la poudre, ou plus exactement le semtex, matière bien plus hautement explosive et qui a la faveur des terroristes.
Un autre et salutaire rappel est cette coordination entre les divers services et organismes sécuritaires, dont se gargarisent aujourd’hui les responsables. Il en était grand temps là aussi, dans un pays où, à force de tensions sectaires, l’homme de la rue a fini par associer les diverses agences de renseignements et forces publiques à telle ou telle autre communauté. Entre autres et évidents bienfaits, puisse cette coopération toute nouvelle épargner désormais aux Libanais l’incroyable cacophonie des derniers jours.
Car bien qu’émanant de source autorisée, les thèses les plus farfelues ont couru sur les objectifs réels de l’actuelle campagne terroriste ; pire encore l’on a vu de hauts responsables sécuritaires se livrer à des évaluations absolument contradictoires de la situation. Le courage et l’abnégation des militaires et policiers, devenus la cible de prédilection des suicidaires bardés d’explosifs, méritent tout de même mieux qu’une aussi pitoyable confusion. Et avec eux le pays tout entier plus que jamais menacé dans ses œuvres vives, comme nous le signifiait clairement le fanatique qui s’est fait sauter mercredi dans sa chambre d’hôtel, alors qu’il était sur le point d’être arrêté.
Hôtel, le mot fatidique est lâché, et il sonne comme un coup de tonnerre dans le cadre d’une économie libanaise reposant aussi totalement sur les services, notamment touristiques. Au fil des saisons estivales que sabotent régulièrement, au tout dernier moment, crises politiques ou, pire encore, secousses sécuritaires, c’est la même hantise, pour ne pas dire superstition, qui habite ce secteur essentiel.

Réservations gelées sinon annulées, réductions massives de personnel aussi bien dans les palaces que dans les établissements plus modestes : les dégâts ne s’arrêtent d’ailleurs pas là, s’alarment les syndicats. Encore plus affectés que les hôtels sont en effet les complexes d’appartements meublés, où les séjours ne se limitent pas à quelques nuitées et requièrent, par conséquent, davantage de programmation. De saison pourrie en saison assassinée, les agences de location de voitures, quant à elles, ont amputé leurs flottes de moitié.
Il n’y pas que nos hôtels, cependant, qui soient de verre. Portes et fenêtres béantes, institutions en panne, le Liban est même dépourvu de toit. Pour bienvenue que soit, dès lors, cette tardive trouvaille de sécurité préventive, elle ne saurait suffire pour protéger efficacement et durablement le pays. Ce qu’il faut en réalité prévenir – et le faire pendant qu’il en est encore temps –, c’est l’érosion continue de l’État. Ce qu’il faut prévenir, c’est les folles aventures des milices qui en s’en allant tirer le monstre par la queue en Syrie ont, tel l’aimant, attiré sur le pays tout entier la criminelle furie des terroristes de Daech. S’obstiner dans l’erreur, c’est, objectivement, inviter à domicile ces indésirables touristes.