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Ils visent au cœur

Les rats et les cafards, c’est bien connu, ont invariablement une longueur d’avance sur les fabricants de pesticides. En l’espace d’une seule génération parfois, ces animaux nuisibles adaptent leurs organismes aux poisons dernier cri concoctés par les laboratoires ; ils passent alors à travers les mailles du mortel filet.
C’est bien ce que réussissent à faire ces créatures du diable que sont les terroristes. Et s’il est une maille du filet dont ils n’ont cessé de se jouer, c’est bien – on croit rêver – l’incroyable dysfonctionnement des dispositifs de sécurité occidentaux, pourtant dotés de l’équipement le plus moderne. On l’a dit et redit, tout au long de l’épouvantable journée d’hier : ce n’est pas la seule Belgique mais l’Europe tout entière que visaient les attentats de Bruxelles, capitale de l’Union abritant, comme il se doit, les diverses institutions supranationales du Vieux Continent. Et on l’a répété sur tous les tons : plus que jamais, l’heure est à la mobilisation et à la coordination des efforts car, comme l’a souligné le président François Hollande, c’est une réaction globale que commande, à l’évidence, une menace globale.
Mais n’est-ce pas là reconnaître qu’à un stade aussi avancé de la guerre déclarée par le terrorisme, on en est encore à plancher sur la toute première phase, le b.a.-ba de toute parade, à savoir précisément, une parfaite coordination entre les diverses forces de dépistage et de prévention? En s’acharnant sur l’Europe, Daech cherche à parachever un processus de désarticulation déjà largement entamé par la crise des réfugiés. Face aux déferlements de marées humaines, les réflexes d’égoïsme nationaux ont joué et des lignes étatiques ont retrouvé leur place sur la carte. À leur tour, le filtrage à l’entrée et la chasse aux terroristes en cavale ont rendu nécessaire le rétablissement des contrôles aux frontières, si bien que l’espace Schengen, une des principales réalisations de l’Union, est aujourd’hui réduit à sa plus simple expression. Et ce n’est pas fini, quand on songe à toutes les prochaines mesures de précaution qui vont inévitablement restreindre encore plus la libre circulation à travers routes, aéroports, ports et gares ferroviaires.
Mais revenons-en au b.a.-ba. À la coordination non plus entre États, mais au sein même des États. Légendaire est la guerre des polices ; elle a d’ailleurs inspiré d’innombrables romans et films illustrant les cachotteries, crocs-en-jambe et autres coups bas qu’échangent pas très cordialement, dans le feu de leur émulation, les divers services de renseignements dont se dotent généralement les nations. Par quel prodige, ainsi, le quartier bruxellois de Molenbeek, vivier de jihadistes, a-t-il pu échapper aussi longtemps à la vigilance des autorités belges ? Et pour passer au cas de la France, est-il croyable que les choses n’aient beaucoup changé malgré le péril terroriste, malgré les hécatombes de l’an dernier ? C’est pourtant l’affolant constat que dresse Le Nouvel Observateur, sous ce titre éloquent : La jungle des services secrets…
C’est chez soi que commence la coordination. Pour s’y soustraire, les Européens ne peuvent même pas invoquer la honteuse, l’infamante exception libanaise : celle d’un pays que n’a guère épargné le terrorisme, mais où même les maisons de barbouzes sont réparties entre les diverses communautés.