IMLebanon

Indigne de la France

L’édito

 

Il n’est jamais trop tard… Une commission d’enquête internationale a évoqué, pour la première fois, la responsabilité directe et personnelle de Bachar el-Assad dans l’utilisation, à plusieurs reprises en 2014 et 2015, d’armes chimiques contre la population civile. Le rapport, qui n’a pas encore été rendu public mais dont une agence de presse occidentale a pris connaissance, est basé sur des informations recueillies par des services de renseignements occidentaux et régionaux et par une commission d’investigation conjointe formée par les Nations unies et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).

Ces accusations, qui incriminent aussi d’autres responsables syriens haut placés, devraient être prises en compte par certains dirigeants et politiciens occidentaux qui font preuve de complaisance déplacée vis-à-vis du président syrien, à l’instar des trois députés de la droite française qui ont effectué il y a quelques jours à Damas une visite indigne de la France. Tout récemment, François Fillon déclarait, dans un revirement notable, que Bachar el-Assad est « un dictateur et un manipulateur », précisant qu’il ne souhaitait pas son maintien au pouvoir. À la bonne heure… Puisse-t-il être entendu par ses compères du parti Les Républicains, et puisse-t-il, surtout, prendre conscience du fait qu’il serait surréaliste et cynique de considérer, comme des députés de la droite et de l’extrême droite françaises le font, que le « manipulateur » des bords du Barada pourrait être le « protecteur des chrétiens d’Orient » ! Il suffit pour réaliser l’absurdité d’une telle allégation de prendre le temps de se documenter sur la politique destructrice et meurtrière pratiquée par le régime Assad depuis les années 70 du siècle dernier à l’égard des chrétiens du Liban, lesquels constituent (convient-il de le rappeler dans ce cadre) la pierre angulaire de la présence chrétienne en Orient. Les mémoires (traduits en français) du patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir, sont sur ce plan suffisamment révélateurs de ce que furent pendant des décennies les pratiques syriennes au pays du Cèdre… Des pratiques que d’aucuns dans la mouvance de la droite (et extrême droite) française s’obstinent à occulter, par ignorance ou par calcul politicien méprisable.

Sans verser dans l’angélisme naïf ou la morale primaire, force est de relever que ce serait faire preuve d’une incohérence politique inqualifiable de se poser en défenseur de valeurs chrétiennes et occidentales tout en soutenant la réhabilitation d’un pouvoir qui massacre son propre peuple à coups d’armes chimiques et de barils d’explosifs, qui se livre à un véritable nettoyage ethnique et communautaire, qui a provoqué la mort sous la torture de plus de 17 500 prisonniers depuis le déclenchement du soulèvement syrien, et qui a tenté de 1975 à 2005 de soumettre dans un esprit hégémonique le Liban en ayant recours à un terrorisme d’État que veulent combattre ceux-là mêmes qui cherchent à redonnent une légitimité à celui qui en est le champion. Ce cafouillis populiste a pour effet de saper dangereusement les fondements du système de valeurs défendu sans cesse par l’Occident et dont la France a été, jusqu’aujourd’hui, le porte étendard.

Mais bien au-delà des questions de principe, la complaisance envers le « manipulateur » de Damas est, à n’en point douter, le plus mauvais service qui pourrait être rendu aux chrétiens d’Orient, et de Syrie en particulier. Le soutien de parlementaires français et occidentaux à Bachar el-Assad, à l’ombre du contexte explosif présent, ne peut en effet que radicaliser davantage les courants jihadistes sunnites et susciter un fort ressentiment à l’égard des chrétiens qui risqueraient d’être accusés de complicité avec le régime tyrannique et de servir de boucs émissaires en réaction à l’aventure guerrière du clan Assad. C’est sans doute pour couper court à tout « amalgame » à ce propos que nombre de Syriens se sont employés ces derniers jours à mener une campagne soutenue sur les réseaux sociaux pour affirmer que beaucoup de chrétiens syriens sont hostiles au régime en place. Quant à la poignée de députés français qui
s’ingénient à voler au secours d’Assad, on ne peut que lancer à leur égard « pardonnez leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » !