Ce n’est pas exactement la fable du lièvre et de la tortue, du moment que la race des coureurs est éteinte dans notre pays. Sacrément réconfortant néanmoins est le spectacle d’une justice libanaise longtemps à la traîne, insensible aux cascades de scandales, par trop sensible en revanche aux pressions de toute sorte, et qui soudain a bouffé du lion. La voilà en effet qui prend plusieurs longueurs d’avance sur un pouvoir exécutif paralysé par ses divisions, incapable de toute initiative politique, impuissant même à régler les problèmes de caniveau, comme l’illustre cette crise des ordures ménagères entrée dans sa seconde année.
Recherche tatillonne de la vérité, et puis surtout le courage de clamer haut et fort celle-ci sans précautions de style : c’est de la sorte que d’héroïques juges d’instruction redonnent ses lettres de noblesse à l’appareil judiciaire. Publié il y a quelques jours, l’acte d’accusation relatif aux sanglants attentats à la bombe perpétrés il y a trois ans contre deux mosquées de Tripoli est un modèle du genre.
Comme dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri, c’est en grande partie le retraçage des communications par téléphone mobile entre les exécutants et leurs officiers traitants, basés à Damas, qui a permis de démasquer tout ce beau monde. Non content de divulguer les noms des tireurs de ficelles et leur fonction précise au sein des services secrets syriens, le juge Alaa’ Khatib souligne la nécessité de remonter encore plus loin dans la chaîne de commandement, afin que soient également incriminés les hauts responsables de la machine à tuer baassiste. C’est ce que faisait déjà l’instruction de l’affaire Michel Samaha, l’ancien ministre devenu convoyeur d’explosifs, en citant nommément le général Ali Mamlouk, grand patron des officines de renseignements syriennes.
Fort bien que tout cela, mais ensuite ?
Expulser l’ambassadeur syrien au risque d’une rupture totale, par Damas, de ces relations diplomatiques longtemps souhaitées par le Liban car pouvant passer pour une reconnaissance syrienne de l’indépendance libanaise ? Saisir le Conseil de sécurité de l’Onu pour n’y essuyer qu’un veto russe ? Juger in absentia Bachar el-Assad ? Pour naturelles et parfaitement légitimes que soient de telles exigences, elles ont peu de chances d’aboutir, hélas. Face à ces accablantes révélations, face aux réactions d’indignation et de colère qu’elles ont suscitées, le gouvernement fait imperturbablement le mort. Les amis du tyran de Damas y siègent en nombre et l’idée de demander, ne serait-ce que des explications, à l’ambassadeur de Syrie n’a même pas traversé l’esprit du ministre des Affaires étrangères.
En revanche, et à quelque bord qu’ils appartiennent, les Libanais voient désormais leurs soupçons se muer en certitudes. Avec plus de clarté que jamais, ils constatent, chiffres en main, que de tous les terrorismes qui se sont abattus sur leur pays, c’est bien celui pratiqué par le(s) régime(s) Assad qui est le plus meurtrier. Le plus acharné, et cela de longue date. Le plus pervers enfin : pour frapper Tripoli la sunnite, dans le but d’attiser les tensions entre les deux grandes branches de l’islam, ce sont des agents de cette même communauté, membres de l’Unification islamique, que Damas a mis à contribution. Du coup, et sans cacher leur consternation, certains leaders du lieu, traditionnellement proches de la Syrie, n’ont pu que se joindre au concert de protestations observé dans la capitale du Nord.
On le voit bien : peine de juge honnête n’est jamais perdue.