Non, Benjamin Netanyahu n’a pas, et n’aura jamais, l’étoffe d’un Churchill même si le très influent lobby pro-israélien aidant, les deux hommes sont seuls au monde à avoir en partage trois triomphales prestations devant le Congrès américain. Netanyahu est encore moins ce Moïse conduisant son peuple vers le salut et auquel il se référait dans son discours d’hier sous le dôme du Capitole. Se posant en fédérateur, au prétexte qu’il appelle avec insistance les Juifs d’Europe à émigrer en Israël, il est loin pourtant de faire l’unanimité même parmi ses propres concitoyens. De multiplier les colonies de peuplement dans la portion de Palestine n’en fait pas enfin un grand bâtisseur, et surtout pas un bâtisseur de paix : discours destructeur, prédisait d’ailleurs, la semaine dernière déjà, une conseillère du président Obama.
Détruire, diviser, torpiller un des chantiers majeurs de la diplomatie américaine, à savoir le projet d’accord sur le nucléaire iranien, c’est exactement ce qu’est allé faire Bibi à Washington : cela à trois semaines des législatives israéliennes et à l’invitation du président républicain de la Chambre des représentants, qui n’avait même pas jugé utile d’en aviser la Maison-Blanche. D’avoir tout de même salué au passage les largesses d’Obama (plus de 20 milliards de dollars en armements offerts en six ans à Israël) ne réduit en rien l’insolence de la démarche. Sous les vivats des parlementaires US, c’est l’homme théoriquement le plus puissant du monde qu’a défié, chez lui-même, l’Israélien, qualifiant de très mauvais, voire de dangereux pour l’humanité tout entière l’accord projeté avec l’Iran.
Ce n’est pas la première fois que les très étroites relations israélo-américaines souffrent d’un rude coup de froid, le courant n’ayant jamais passé, de surcroît, entre Obama et Netanyahu. Ce n’est pas la première fois non plus que les Arabes s’empressent de rêver d’une irréparable cassure entre l’État hébreu et son protecteur, quitte à déchanter tout aussi vite. C’est bien la première fois, en revanche, que les divergences relèvent de la stratégie, qu’elles sont aussi âprement étalées au grand jour malgré les efforts mutuels visant à faire croire à une banale querelle de famille. C’est la première fois, surtout, qu’Israël place le débat sur la scène intérieure américaine et qu’il le fait de manière aussi provocante, rameutant représentants et sénateurs contre celui qui est leur président.
Ni Churchill ni Moïse, le chef du gouvernement israélien a cependant pour lui l’erratique conduite d’un colosse US donnant la tenace impression de peiner en permanence, avec ses gros godillots, sur les sables du Moyen-Orient. Sans remonter au catastrophique déluge d’un George W. Bush n’envahissant l’Irak que pour y installer un sanglant chaos, les inhibitions et atermoiements de l’actuelle administration ne sont pas pour rien dans les affres que connaît la Syrie et la fulgurante ascension de l’État islamique. Pour fondée qu’elle puisse être, son approche de la question iranienne ne préoccupe pas, par ailleurs, les seuls Israéliens mais aussi ses alliés arabes, atterrés par la spectaculaire montée en puissance de Téhéran dans cette partie du monde.
C’est ce même cafouillis qui pouvait être observé hier lorsque, se voulant rassurant pour Israël, Obama a lié l’accord sur le nucléaire à un gel de plus de dix ans du programme iranien. Il n’a évidemment pas convaincu Netanyahu. Il a suscité la colère des Iraniens qui ont jugé ses propos inacceptables ; et il a plongé dans l’embarras son propre représentant John Kerry aux négociations de Montreux.
Sacré triplé, tout de même !