Les derniers développements militaires, l’attaque israélienne contre un convoi du Hezbollah « en visite de reconnaissance » (de quoi ? ) dans le Golan, la riposte du Hezbollah dans les fermes de Chebaa et l’attentat-suicide contre un autobus de pèlerins chiites près de Damas, revendiqué par le Front al-Nosra, accusé par le secrétaire général du Hezbollah d’être en Syrie une forme de milice auxiliaire d’Israël, comme l’était chez nous l’Armée du Liban-Sud d’Antoine Lahd, sont progressivement en train de modifier la nature de la phase que traverse le Liban. Une phase qui semblait être dominée par les développements politiques et où les réalités militaires semblent prendre de nouveau le dessus.
C’est dans ce climat sensiblement modifié qu’a débarqué hier à Beyrouth Jean-François Girault, directeur de la section Moyen-Orient/Afrique du Nord au Quai d’Orsay, en mission prospective. La tâche fondamentale du responsable français est de débloquer le processus présidentiel, et il a déjà pris des contacts à cette fin à Téhéran, en Arabie saoudite et au Vatican. Sur le conseil de Téhéran, M. Girault se réunira à Beyrouth avec des responsables du Hezbollah. Mais les contacts préliminaires pris pour lui au niveau diplomatique français local n’ont semble-t-il rien donné de précis.
Une chose est sûre, le discours de Hassan Nasrallah sur la modification des règles d’engagement avec Israël a sensiblement modifié le climat à Beyrouth. Il a inquiété les instances internationales, et cette question meublera certainement les discours officiels au cours des prochaines semaines. La représentante spéciale de l’Onu au Liban, Sigrid Kaag, l’a redit hier au président de la Chambre, Nabih Berry : la communauté internationale tient au respect de la résolution 1701 du Conseil de sécurité et au maintien du statu quo au Liban-Sud.
Mais la communauté internationale ne peut s’aveugler sur le fait que ce statu quo est sérieusement menacé par la décision du Hezbollah de riposter à Israël « où bon lui semble », et donc à partir du Liban-Sud, s’il est agressé. Il en a le pouvoir, mais en a-t-il le droit ? Il y a là, en effet, de quoi rendre nerveux non seulement la communauté internationale, mais aussi tous les Libanais, et en particulier le courant du Futur.
Les fanfaronnades et le dialogue
Les fanfaronnades du secrétaire général du Hezbollah (qui pourraient lui avoir déjà coûté les 6 morts de l’attentat de Damas, revendiqué par le Front al-Nosra) vont-elles ébranler le dialogue engagé entre ce parti et le courant du Futur ? On le saura aujourd’hui, où un nouveau round de pourparlers entre les deux formations est prévu. Sans doute pas, estiment les milieux concernés, mais elles pourraient en amoindrir sensiblement la portée, déjà réduite. À quoi sert donc un dialogue qui n’irait pas au fond des choses et laisserait libre cours au parti chiite d’agir « comme bon lui semble, quand bon lui semble, où bon lui semble », pour citer les propres mots du sayyed ?
De source proche du courant du Futur, on assure en effet que les nouvelles règles d’engagement du Hezbollah sont diamétralement opposées aux dispositions de la déclaration de Baabda, qui préconise la distanciation du Liban à l’égard des axes régionaux. Pour le coup, le Hezbollah abolit les frontières entre le Liban et la Syrie. Il en fait une seule et même frontière en ce qui le concerne. Mettre ainsi en danger le Liban, dans l’intérêt de la Syrie et de l’axe syro-iranien, cela frise la trahison du vivre-ensemble, et le courant du Futur pourrait aujourd’hui le crier haut et fort !
Le profond désaccord du Liban sur ce sujet pourrait aussi se répercuter, demain, sur le Conseil des ministres, où la question devrait être soulevée. De source proche du Premier ministre, on souligne toutefois que la cohésion du gouvernement ne saurait être remise en question puisque c’est le seul ersatz de pouvoir exécutif qui reste encore au pays, même s’il est morcelé en 28 parts, une pour chaque ministre, même si ce pouvoir ne dépasse plus celui d’un conseil municipal, pour reprendre une image de Marwan Hamadé. Même si la corruption menace de s’étendre en l’absence d’un appareil exécutif doté de pouvoirs effectifs.
Pharaon
L’un des épiphénomènes de l’absence d’un chef au sommet de la pyramide des institutions vient d’éclater sous les yeux ébahis des Libanais. Le port de Beyrouth est paralysé par un mouvement de protestation qui, quoi qu’on en dise, prend des allures confessionnelles. Fort heureusement, le ministre du Tourisme, Michel Pharaon, a pris le contrepied du mouvement de protestation et s’est dit en faveur du remblayage du 4e bassin du port de Beyrouth. Mais indépendamment de la partie qui a raison, il est quand même symptomatique, et tout à fait inhabituel, pour ne pas dire anormal, que ce soit le vicaire patriarcal maronite, Mgr Boulos Sayyah, qui doive réunir à Bkerké les adversaires du projet. En l’absence d’une référence nationale arbitrale, la présidence de la République, explique-t-on, c’est l’instance religieuse de Bkerké qui joue ce rôle. Anormal, oui, hautement anormal. Et régressif.
Alors, où en est le pays de l’élection d’un nouveau président de la République ? Est-il donc livré sans défense à un jeu de pouvoir régional ? On persiste à ne pas vouloir le croire. On persiste à croire que le Liban ne restera pas sans président jusqu’à la fin de la crise syrienne, ou jusqu’à la signature de l’accord sur le nucléaire entre les États-Unis et l’Iran. Et puis, est-ce bien le moment pour Samir Geagea et son épouse de se rendre en vacances en Europe ? se demande-t-on. À en croire le nouveau vocabulaire qui émerge, le dialogue avec Michel Aoun a atteint des profondeurs que les tenants de ce dialogue ne semblaient pas, de prime abord, vouloir lui prêter. « Purification de la mémoire », dit-on. C’est toute la guerre qui reflue avec ses souffrances indicibles, ses crimes et son cynisme. Deux hommes y parviendront-ils ? N’est-ce pas toute la société chrétienne, toute la société libanaise, qui devront – enfin! – dire leur mot là-dessus ?