IMLebanon

JeSuisUnTraître

 

L’ÉDITORIAL

 

Hier le sionisme, aujourd’hui le jihadisme, et demain ? Il y a quelque chose d’organique dans le besoin du Hezbollah de combattre pour exister. D’anschlusser la marge et d’en faire sa citadelle – cet espèce de dôme saillant, un vorbunker dans un désert (étatique ici, apocalyptique à l’échelle de la région) pré-Mehdi, madmaxien comme rarement. Quelque chose d’organique, de viscéral, de génétique, au-delà des diktats de la wilayet el-faqih et au-delà de cette tentative dilettante et nonchalante de légitimation politico-histologique (1992 au Parlement, juillet 2005 au gouvernement), pure poudre aux yeux, puisque là aussi il s’agit, encore et toujours, de combattre. Annexer, paralyser, kidnapper : combattre. Quelles que soient les armes : missiles, blocage institutionnel ou lexique. Épistémologiquement milicien, le Hezbollah vient (de nouveau) d’ériger la sémantique en mini-Fajr ou mini-Zelzal à consommation locale : vous êtes des traîtres. Sauf que cette arme, que le parti chiite pense et veut de destruction/persuasion massive, qui s’inscrit dans la pure hystérie freudienne, est celle du faible. De celui qui a peur. De celui qui perd. De celui qui sait qu’immanquablement, il va devoir évoluer, muter, passer à autre chose.

Vous êtes des traîtres : bien plus qu’en 2006, Hassan Nasrallah prépare et anticipe la défaite. Adressés aux Libanais en général et aux chiites des ambassades en particulier, ces mots sont une double et retentissante faute grave. Dans la forme : eût-il privilégié le Et vous aussi, Brutus que beaucoup de ses compatriotes, et de ses coreligionnaires, auraient craqué, pardonné, essayé de comprendre. Mais non : M. Nasrallah a cette manie, cet index comme d’autres leur petite moustache, qui rend insupportable et irrecevable la maffiattitude du Hezbollah. Dans le fond, surtout : dans un pays qui ne survit encore que grâce à son vivre-ensemble, aussi rachitique soit-il, il est ahurissant de traiter ceux qui pensent autrement, ceux qui se battent pour la primauté de l’État, aussi rachitique soit-il, de traîtres. Parce que rien n’empêche la moitié (au moins) des Libanais de commencer un par un, micromanif après micromanif, communiqué après communiqué, tweet après tweet, de brandir, revendiquer et pleinement assumer leur loyauté à cet État, donc leur traîtrise à la cause personnelle et mercenaire du Hezbollah cuvée 2015. D’autant que voilà M. Nasrallah qui manque cruellement de (pré)vision : que ce soit dans six mois ou dans deux ans, Bachar el-Assad perdra, immanquablement, et le Hezbollah se verra obligé d’évoluer. Que fera-t-il alors : lancer ses justes contre autant de traîtres ?

Il a parfaitement raison, M. Nasrallah : la guerre contre le jihadisme n’est pas l’apanage du seul parti chiite. Loin de là. Cette guerre est celle de tous : une occasion en or de magnifier ce vivre-ensemble, de l’anamorphoser en un urgent combattre-ensemble. De ces combattre-ensemble qui recréent un pays, forgent une nation et transfigurent les traîtres. Tous les traîtres. De tous les bords. Cette guerre est effectivement l’affaire de la totalité des Libanais. Une affaire de l’État.