IMLebanon

Joutes épiques à Jounieh et Deir el-Qamar, contestation chiite du Hezbollah à Jbeil

 

Michel HAJJI GEORGIOU 

Le Mont-Liban n’a pas dérogé à la règle, en se montrant une fois de plus le centre de batailles épiques… même dans le cadre d’élections municipales où chaque formation tenait à tester quelque peu sa puissance électorale, en dépit des enjeux micro et des structures familiales prégnantes.

Dans ce milieu traditionnellement ultrapolitisé, les taux de participation ont été naturellement largement supérieurs à Beyrouth, avoisinant les 50 % dans certaines régions, dépassant les 60 % dans d’autres, même dans le cas où il s’agissait symboliquement de plébisciter – ses adversaires n’ayant pu former une liste contre lui – l’archétype du président de conseil municipal ayant réussi dans sa mission : Ziyad Hawat à Jbeil.

Cependant, qui dit ultrapolitisation dit malheureusement aussi, dans un pays en grave déficit démocratique, l’éternel retour des achats de voix. Plusieurs cas ont ainsi été relevés, dans différentes régions – le Kesrouan remportant apparemment la palme en la matière, à en croire certains observateurs. Et lorsque la corruption n’a pas été « directe », elle s’est manifestée par des manières plus perverses, les candidats exprimant leurs influences sur leurs électeurs pas des moyens plus doux et plus mondains.
 En l’absence des résultats officiels – tous les résultats sont le fait du décompte des machines partisanes, en espérant que le décompte des voix officiels ira plus vite que lors du premier round – il est encore difficile de tirer une quelconque analyse globale du scrutin d’hier. À l’heure d’aller sous presse, les résultats des deux batailles politiques les plus importantes de la journée, Jounieh et Deir el-Qamar, étaient toujours incertaines.

Dans le premier, la bataille opposant la liste Juan Hobeiche, soutenue principalement par le Courant patriotique libre (CPL) et les Kataëb, aux principaux notables de la région, est restée très âprement disputée jusqu’au bout de la nuit. Samedi, Michel Aoun avait décidé de mettre tout son poids dans la balance lors d’un meeting dans la ville, faisant de la bataille un enjeu politique fondamental pour sa propre survie, mais aussi pour celle… « des chrétiens d’Orient », comme l’a répété hier l’ancien ministre Nicolas Sehnaoui. Pourtant, son nouvel allié, Samir Geagea, a tenu à minimiser la portée du scrutin lors d’une conférence de presse hier, amortissant ainsi quelque peu les effets retors que M. Aoun et sa candidature pourraient subir du fait d’un éventuel revers. Très tard dans la nuit, la liste Hobeiche se disait intégralement victorieuse (18 sièges contre zéro) avec un peu plus d’une centaine de voix d’écart par rapport à la liste adverse.
Incapable de mener bataille contre Ziyad Hawat à Jbeil ; indisposé hier par des divergences interpartisanes à travers le littoral du Metn – mais, encore une fois, les municipales sont d’abord une affaire de familles au Liban – face à la machine Murr-Kataëb (sauf là où le consensus a primé), mais aussi par des faux bonds, dans certains cas de figure, de la part de ses alliés FL et Tachnag ; battu à Damour par la liste Ghafari soutenue par les FL et les Kataëb, le CPL pourra cependant se vanter d’avoir remporté plusieurs victoires, dont nous retiendrons, à titre d’exemple : Aïntoura, Baabda (où le scurtin était cependant fortement familial), Akoura, Dhour Choueir (fief de Élias Bou Saab), Dahr el-Souwane (sous l’égide de Ibrahim Kanaan) et surtout Hadeth, fortin aouniste par excellence…

Et il y aura peut-être aussi Deir el-Qamar, où de premiers résultats non vérifiés faisaient en effet état d’une avance notable (14 sièges contre 4) en faveur de la liste commune FL-CPL appuyée par le Parti socialiste progressiste, contre l’alliance Dory Chamoun-Naji Boustany soutenue par le parti Kataëb. La bataille est politiquement importante, puisqu’ici, c’est le chef du Parti national libéral qui s’est considéré comme victime d’une volonté d’élimination, dans son propre fief, par les deux poids lourds de la scène chrétienne – en quête, selon lui, d’« hégémonie totale » au plan communautaire. )

Çà et là, il faudra également noter la déferlante de victoires des listes soutenues par le parti Kataëb un peu partout (notamment de Nabil Kahalé à Sin el-Fil et de Georges Semaan à Bsalim), à en croire les premiers résultats, le triomphe important de la liste soutenue par Ghassan, Élias et Sami Moukheiber à Beit-Méry, ou encore celle de la liste de Abdallah Ghosseini, parrainée par Marwan Hamadé à Baakline (Chouf), et par Farid Haykal el-Khazen et les Kataëb à Ghosta (Kesrouan). Entre autres résultats, la liste de Raymond Semaan l’aurait emportée à Furn el-Chebback, celle de Jean Asmar à Hazmié, celle de Élias Abou Jaoudé à Antélias, de Kabalan Achkar à Dbayeh, de Clovis el-Khazen à Ajaltoun, de Antoine Bou Aoun à Aïn Saadé (contre celle du gendre du général Aoun, Roy el-Hachem)… en attendant des résultats plus complets et plus certains aujourd’hui.

Il reste que l’élément le plus important de la journée a été la bataille nouvelle, jusqu’à la violence par moments, apparue hier entre le mouvement Amal avec les familles et la gauche, d’une part, et le Hezbollah, de l’autre, dans les contrées chiites du jurd de Jbeil. Une région où, lors des législatives de 2009 et des municipales de 2010, le bloc des électeurs chiites s’était comporté comme un seul homme. En attendant des résultats concrets, le phénomène en lui-même confirme, et c’est extrêmement important, la tendance déjà observée lors des élections du 8 mai dans le bastion hezbollahi de Baalbeck-Hermel : le bloc monolithique chiite s’est fissuré, et le Hezbollah est de plus en plus confronté à une contestation, nouvelle, surgie de l’intérieur de sa communauté…