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L’« Assirologie » pour les nuls

L’édito

 

L’arrestation du cheikh Ahmad el-Assir est, incontestablement, une bonne chose pour le Liban. Elle l’est à double titre : en premier lieu parce qu’elle est la sanction naturelle du parcours d’un homme qui a progressivement glissé de la posture politique à l’action subversive, provoquant au bout du compte des heurts sanglants avec l’armée libanaise.

Elle l’est ensuite parce qu’elle permet de projeter la lumière, une fois de plus, sur la vraie nature des rapports complexes entre les tenants du radicalisme sunnite, à l’instar du cheikh el-Assir, et la force politique sunnite dominante au Liban, c’est-à-dire le courant du Futur. Et cela au moment précis où ce dernier est la cible d’un déferlement de haine sans précédent de la part de certains milieux chrétiens.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire communément, Ahmad el-Assir n’a pas été arrêté parce qu’il est sunnite, même si, comme le suggérait dimanche Samir Geagea, il est dans les faits plus facile au Liban d’arrêter un sunnite qu’un chiite. S’il a pu être arrêté, c’est plutôt parce que les sunnites libanais ont décidé qu’il pouvait – et devait – l’être. La nuance est importante. Elle signifie essentiellement deux choses : que l’État libanais n’est pas en lui-même aussi partial qu’on le croit, même si souvent il verse dans l’arbitraire ; et aussi – on n’a rien inventé – que son action reste tributaire du bon vouloir des forces politiques dominantes.

Mais il y a, en l’occurrence, une troisième signification, celle qui compte le plus par les temps qui courent : si le Liban, contrairement à la plupart de ses voisins, continue fort heureusement à être une terre dangereuse pour les salafisto-jihadistes, le mérite n’en revient sûrement pas à Hassan Nasrallah, et encore moins à Michel Aoun…

Au lendemain des affrontements de Abra, en juin 2013, un membre du bureau politique du Futur, Moustapha Allouche, avait dit du cheikh el-Assir qu’il avait « démarré (son mouvement politique) avec 500 (partisans) et qu’il avait fini avec 500 ». Il entendait par là qu’en dépit de sa surenchère sunnite antisyrienne et anti-Hezbollah, le prédicateur islamiste n’avait pas réussi à s’installer sérieusement dans le paysage sunnite aux dépens des haririens. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, lui qui, soutenu financièrement par un remuant émirat du Golfe, à ce qu’on disait à l’époque, était allé jusqu’à accuser Saad Hariri et Fouad Siniora d’avoir bradé le sang de Rafic Hariri.

De Denniyé, en 1999, à Ersal, Tripoli et Minieh, en 2014, en passant par Nahr-el-Bared, en 2007, et Abra, nombreuses furent les tentatives violentes des jihadistes de s’enraciner au Liban. L’échec fut toujours au rendez-vous, grâce certes aux sacrifices consentis par l’armée libanaise, mais aussi et surtout à l’absence d’un environnement propice au radicalisme dans les milieux sunnites libanais, un phénomène qui fait du Liban un cas absolument unique par rapport à tous les États du gigantesque espace musulman s’étalant entre Casablanca et Djakarta.

On pouvait penser il n’y a pas si longtemps que la structure pluriconfessionnelle du pays du Cèdre était l’unique garantie contre le radicalisme religieux sunnite. On constate ces dernières années combien cette croyance était fausse. Et l’on se demande même par quel miracle, au vu de certaines politiques locales et régionales, les sunnites libanais continuent-ils dans l’ensemble de résister aux sirènes du jihadisme.

Cette vérité, il faudrait essayer par un moyen quelconque de l’inculquer aux manifestants visiblement peu informés qui brandissaient il y a quelques jours des banderoles affirmant que courant du Futur et État islamique, c’est kif-kif…