Enfin ! Réuni pour la seconde journée consécutive cette semaine, le Conseil des ministres a débloqué hier 50 millions de dollars pour le compte du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) en vue de financer l’exportation des déchets, premier versement d’un total de 161 millions de dollars qui seront dépensés sur 18 mois.
Amoncelées aux quatre coins de Beyrouth et du Mont-Liban, déversées dans la nature, au fond des vallées et des ravins, brûlées en plein air et dégageant une fumée cancérigène, ces ordures sont devenues, depuis juillet dernier, le symbole par excellence de l’imprévoyance, l’incompétence et la corruption de la classe politique.
Le déblocage des 50 millions de dollars a été annoncé par le ministre de l’Information, Ramzi Jreige, dans un communiqué lu à l’issue de la réunion. Toutefois, attendue mercredi dernier, la signature du contrat entre le CDR et la compagnie britannique Chinook chargée de l’exportation des déchets du Liban vers diverses destinations, dont la seule confirmée jusqu’ici est la Russie, a été repoussée à la semaine prochaine.
Commentant ces développements, le président du CDR, Nabil Jisr, a indiqué hier à L’Orient-Le Jour que « ces 50 millions de dollars sont un premier versement pour les six premiers mois ». « Je crois que nous serons prêts à signer le contrat d’ici à lundi ou mardi, et espérons que l’exportation pourra commencer d’ici à la fin du mois, comme prévu », a-t-il poursuivi.
Pourquoi ce retard ? « Ce n’est qu’une opération de routine, estime-t-il. Il n’y a aucun retard puisque la décision du Conseil des ministres donne à la compagnie jusqu’au 29 février pour produire tous les documents. Mais il y avait un souhait que cela soit fait avant. En fait, la semaine prochaine, la compagnie nous présentera sa garantie bancaire et nous serons prêts à dépenser les fonds pour lancer le processus. »
Y aura-t-il d’autres destinations que la Russie ? « En ce qui nous concerne, nous n’avons pas connaissance d’une autre destination, affirme M. Jisr. Si la compagnie préfère avoir d’autres destinations, c’est son droit, mais elle devra recommencer tout le processus. »
Réserves
« Lorsque le principe de l’exportation des déchets a été admis, chaque pôle politique a exprimé ses positions. Aujourd’hui, ces mêmes parties ont réaffirmé leurs positions initiales sans toutefois faire obstruction au financement de l’exportation, et ce afin que l’opération puisse débuter immédiatement », a expliqué M. Jreige, commentant l’opposition exprimée par le ministre de l’Éducation, Élias Bou Saab, à l’exportation des déchets. Les Kataëb se sont également montrés réservés à cet égard mais, contrairement à M. Bou Saab, n’ont pas été jusqu’à marquer leur opposition en votant contre le projet, sachant que « c’est une mauvaise solution, mais il n’y en a pas d’autre ».
Par ailleurs, le ministre de l’Information a annoncé que le gouvernement a accordé un crédit de 138 milliards de livres libanaises (92 millions de dollars) afin de payer les salaires des fonctionnaires d’Ogero, la compagnie qui gère notamment le réseau de téléphonie fixe au Liban. Ceux-ci avaient manifesté leur mécontentement il y a quelques jours et avaient menacé d’escalade en cas de non-paiement.
M. Jreige a également annoncé que le gouvernement a approuvé le paiement des rémunérations des enseignants contractuels qui n’avaient pas touché leurs salaires depuis six mois. Le ministre de l’Éducation avait menacé la veille de mettre un terme aux contrats de ces enseignants s’ils n’étaient pas payés (voir par ailleurs).
Le ministre de l’Information a enfin souligné que les dossiers qui n’ont pas été abordés jeudi le seront lors du prochain Conseil des ministres, prévu le 18 février.
Coup d’éclat de Rifi
Pour protester contre l’absence de décision concernant sa demande de transfert du dossier de Michel Samaha devant la Cour de justice, le ministre de la Justice, Achraf Rifi, s’est retiré, peu avant 13h, de la réunion du gouvernement, et a été se recueillir sur la tombe de Wissam el-Hassan, le chef du bureau des renseignements des FSI assassiné en octobre 2012.
Ce point de l’ordre du jour (le 64e) avait été relégué au second plan par M. Salam, qui voulait donner la priorité aux dossiers à résonance sociale.
« Il y a une volonté politique de gagner du temps en évitant d’aborder le transfert du dossier de Michel Samaha, alors qu’il s’agit là d’une question de sécurité nationale », a tonné M. Rifi à sa sortie du Grand Sérail.
« Je respecte le Premier ministre et sa patience et je sais qui sont les parties politiques derrière ce blocage », a-t-il ajouté, sans les nommer. « J’ai des prérogatives en tant que ministre de la Justice et j’étudie en ce moment les options qui sont entre mes mains. Elles sont au nombre de trois », a-t-il dit sans plus de détails.
On apprenait par la suite que ces trois options, toutes non étudiées semble-t-il, portent sur la comparution de M. Samaha soit devant la Cour pénale internationale, soit devant les tribunaux canadiens (M. Samaha jouissant de la nationalité canadienne), soit encore devant les tribunaux belges, en vertu de la loi, aujourd’hui caduque, qui autorisait toute personne victime d’un crime contre l’humanité à recourir à la justice en Belgique. C’est devant un tribunal de cet ordre qu’Ariel Sharon devait comparaître en 2002 et qu’Élie Hobeika devait témoigner, avant son assassinat (24 janvier 2002).
Réagissant sans tarder au coup d’éclat de M. Rifi, le chef du courant du Futur, Saad Hariri, l’a ouvertement désavoué sur sa page Twitter, affirmant : « La prise de position d’Achraf Rifi ne m’engage pas et que personne ne fasse de la surenchère concernant (…) l’affaire Samaha ou celle de Wissam el-Hassan. Quiconque a commis un crime sera puni. »
Dans les milieux concernés, on affirme que M. Hariri avait explicitement donné une consigne de modération que M. Rifi a outrepassée, et que cette mise au pas de M. Rifi se justifie pleinement de la part du chef du bloc politique auquel il appartient.
Place Riad el-Solh, des dizaines de manifestants ont passé la nuit sur place afin d’afficher une nouvelle fois leur opposition aux politiques du gouvernement. Ils ont de nouveau mis en garde jeudi contre toute tentative d’imposer des taxes directes aux Libanais, notamment afin de financer l’exportation des déchets.