La vingt-troisième réunion parlementaire pour l’élection d’un nouveau chef de l’État doit se tenir ce matin. Une réunion devenue de routine, convoquée pour la forme, et censée donner du Liban et du Parlement l’image d’un pays et d’une institution qui se conforment à la Constitution. Mais on n’est pas à une aberration près, pour les raisons qu’on connaît. Alors que l’hémicycle restera vide, dans les bureaux adjacents, trois commissions parlementaires seront en train d’examiner une série de textes de loi dont il n’est pas dit qu’ils figureront prochainement à l’ordre du jour d’une quelconque réunion législative.
C’est que même à ce niveau, le blocage reste total du fait de la querelle autour des sujets qui sont supposés ou pas correspondre au principe de la nécessité législative, institué pour justifier, au nom de celui de la continuité de l’État, la convocation d’une réunion parlementaire ordinaire alors que la Chambre est supposée être, conformément à la Constitution, un collège électoral ayant pour seule mission d’élire un président de la République.
Comme le législateur n’a pas prévu une vacance présidentielle prolongée, les textes prévoyant la conduite à suivre dans ce cas sont, comme on le sait, pratiquement inexistants, ce qui a poussé les autorités à recourir à toutes sortes d’acrobaties pour assurer le fonctionnement de l’État au minimum en butant toutefois sur plusieurs obstacles politico-politiciens. Des acrobaties et des contorsions dangereuses, non seulement parce qu’elles risquent de constituer un précédent, mais parce qu’elles peuvent donner lieu à des dérives préjudiciables pour le pays, en l’absence d’une autorité régulatrice capable de les freiner, la Constitution n’étant malheureusement plus une référence.
Conférence de presse de Aoun vendredi
Le vide présidentiel qui a favorisé une paralysie du Parlement risque de s’étendre maintenant au gouvernement avec les informations véhiculées hier sur un éventuel retrait des ministres aounistes du gouvernement, à cause du bras de fer engagé avec leurs collègues autour de la volonté manifestée par le Premier ministre, Tammam Salam, et les ministres du 14 Mars de repousser le départ à la retraite de plusieurs responsables de sécurité, dont notamment le commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, dont le mandat prend fin le 23 septembre prochain. Une décision qui s’impose, selon ses défenseurs, puisqu’il appartient au président de nommer le commandant en chef de l’armée. Il est vrai que le Conseil des ministres assume les prérogatives du chef de l’État, en son absence, mais ce pouvoir reste restrictif et se limite aux questions d’urgence. Or ce point de vue n’est pas partagé par le chef du CPL, le général Michel Aoun, qui doit tenir une conférence de presse vendredi pour évoquer ce qu’il appelle « une crise de pouvoir », après avoir désespéré d’obtenir une réponse favorable aux nominations sécuritaires qu’il propose.
De sources proches de Rabieh, on indique que Michel Aoun a décidé d’opter pour l’escalade à partir du moment où le chef du courant du Futur, Saad Hariri, n’a pas réagi à sa requête, alors même que ce dernier avait affirmé s’en remettre, pour le dossier des nominations, au président de la Chambre, Nabih Berry, lequel, toujours selon les sources de Rabieh, aurait donné son feu vert à celles qui ont été proposées par M. Aoun.
Si le bloc parlementaire de la Réforme et du Changement ne s’est pas étendu sur la question au cours de sa réunion d’hier, en prévision probablement de la conférence de presse de vendredi, un de ses membres, le député Nagi Gharios, a laissé entendre, dans une déclaration à l’agence al-Markaziya, que l’escalade est sérieusement envisagée et qu’elle pourrait se traduire par un retrait du gouvernement. Le CPL mettra-t-il sa menace à exécution ou s’agit-il d’une manœuvre visant à exercer des pressions sur le gouvernement, puisque le temps presse ? La décision de repousser le départ à la retraite de certains responsables sécuritaires ou de les maintenir en place doit être prise avant le 5 juin, date à laquelle prend fin le mandat du directeur des FSI, le général Ibrahim Basbous. Le gouvernement n’a donc que trois semaines ou moins pour se prononcer au sujet des nominations proposées par le CPL : Le général Imad Osman à la tête des FSI, le général Chamel Roukoz (gendre du général Aoun) à la tête de l’armée, et un candidat nommé par le chef du PSP, Walid Joumblatt, pour remplacer le chef d’état-major actuel, Walid Selman.
Le Hezbollah et le Qalamoun
De sources proches du dossier, citées par notre correspondante au Sérail, Hoda Chédid, on indique que les mesures envisagées oscillent entre un blocage partiel et total du gouvernement. Dans les deux cas, l’exécutif sera bloqué, d’autant que le Hezbollah risque de se solidariser avec son allié.
Mais dans certains milieux, on essaie de dédramatiser en estimant que Michel Aoun ne peut pas aller jusqu’au bout de ses menaces, le gouvernement étant pour tous, tant au plan local qu’international, une ligne rouge, au même titre que la stabilité du pays qui pousse le Hezbollah et le courant du Futur à poursuivre leur dialogue, sans pour autant cesser leurs échanges de critiques, comme le montre la diatribe du bloc parlementaire de Saad Hariri contre l’équipée du Hezbollah en Syrie.
Dans ce contexte, il est intéressant de s’arrêter sur les implications politiques de la bataille du Qalamoun, annoncée tambour battant par le Hezbollah depuis plusieurs semaines. Dans cette région à la frontière est du pays, le Hezbollah – soutenu par les forces du régime syrien – et les jihadistes d’al-Nosra se livrent à un véritable chassé-croisé, dans le cadre d’une bataille dont la formation chiite a fait exprès, relèvent les analystes, d’amplifier la dimension et l’importance, mais qui est en bonne voie de devenir une guerre d’usure, d’ici à un éventuel règlement en Syrie.
Cette bataille se révèle cependant coûteuse pour le Hezbollah qui aurait perdu trois collines stratégiques – dont il avait pris le contrôle la veille – consécutivement à une attaque-surprise des jihadistes d’al-Nosra. Selon l’agence locale al-Markaziya, 15 de ses combattants ont péri dans l’attaque et deux autres ont été pris en otage. Un Palestinien du camp de Aïn el-Héloué, Abou Abdel Malak Mohammad Jamal Farès, surnommé le Tchétchène, a été également tué dans le Qalamoun. À l’annonce de son décès, des tirs nourris ont été entendus à Aïn el-Héloué.
Il est vrai que la « conquête » de ce secteur permettra au régime syrien de relier le Qalamoun à Lattaquieh, mais il n’y pas que cet aspect stratégique de la bataille pour le Hezbollah. Dans certains milieux qui suivent de près la bataille du Qalamoun, on estime que le repli des combattants du Hezbollah – qui étaient arrivés jusque Damas – vers ce secteur frontalier est indicateur de deux éléments principaux. Le premier se rapporte à un changement de la politique irano-russe par rapport à la Syrie. Moscou actuellement engagé dans des pourparlers avec les États-unis ne semble plus aussi imperméable que dans le passé aux projets de changements en Syrie, au même titre que l’Iran qui met en avant ses intérêts dans le cadre des pourparlers avec Washington, sur le nucléaire.
Le deuxième est d’ordre strictement local. Le Hezbollah veut utiliser son déploiement dans le Qalamoun comme une carte de pression interne, qui pourra le conduire à terme à imposer une Constituante – un rêve qu’il caresse depuis longtemps – laquelle lui permettra d’asseoir davantage son autorité au sein de l’État à travers des changements fondamentaux, voire un amendement de la Constitution. Selon les mêmes sources, la formation chiite lorgne le commandement de l’armée et le ministère des Finances et souhaite l’institution d’un nouveau poste, celui de vice-président de la République, qui sera confié, on l’aura compris, à un chiite.