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La France est à réinventer

L’ÉDITO

 

Le monde a besoin de ce que les Françaises et les Français lui ont toujours enseigné : l’audace de la liberté, l’exigence de l’égalité, la volonté de la fraternité.
Ce n’est pas sa cadence, hiératique, sur le tapis rouge, avant d’aller serrer la main de François Hollande, qui l’attendait sur le perron. Ce ne sont pas les mots, les contrats, les engagements graves et herculéens que le successeur, héritier malgré lui, a partagé avec les Français. Ce ne sont pas les tapes que le nouveau président français a multipliées sur les joues de ces hommes politiques, alliés d’En Marche!, présents à l’Élysée et qui ont au moins deux décennies de plus que lui. Ce ne sont pas les deux mains serrées, agrippées, engluées l’une à l’autre, d’Emmanuel et Brigitte Macron. Ce n’est pas la parade en command car sur les Champs-Élysées et l’être-au-monde prégnant, indiscutable, exhibé aux yeux du monde, d’un chef des armées de seulement 39 ans. Ce n’est pas la visite aux soldats français blessés de guerre, à l’hôpital de Percy, premier geste fort et symbolique s’il en est. Ce ne sont pas ces interminables mercis, mot-monde répété et répété encore aux anonymes massés sur la plus belle avenue du monde et sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris.
Non. Le moment, l’instant plutôt, qui restera de la journée d’investiture du nouveau chef de l’État français, c’est cette image fugace, si brève, mais tellement inouïe, d’un homme qui gravit au pas de course l’escalier Murat de l’Élysée, juste avant que Laurent Fabius, lyrique et nostalgique, ne prononce ce fameux En cet instant précis, vous prenez vos fonctions. Dans ces quelques secondes sur les escaliers tapissés de rouge qui n’avaient sans aucun doute jamais vu cela, il y avait tout Macron – tout le Macron de la campagne et tout le Macron, en principe, du quinquennat : l’homme pressé, sa fougue, sa jeunesse, son impatience, ses envies, son audace, et surtout, son obsession de réinventer. Cela tombe bien : l’inventaire de ce qu’il doit (re)faire, (re)construire, restaurer et/ ou refonder est, encore une fois, herculéen. Réinventer la confiance des Français et réinventer l’Union européenne ; réinventer la praxis politique et la fonction présidentielle, loin de l’omniprésident et du président normal ; réinventer enfin, surtout, l’avenir. Il y a un (tout petit) côté rimbaldien dans le destin d’Emmanuel Macron, dans son maktoub, pas seulement dans cette recherche éperdue de père, mais dans ce devoir, cet impératif même de réinvention. Pour réussir, pour imposer le rôle immense et la mission éminente de la France à l’étranger, pour que son pays puisse se hisser à la hauteur du moment, pour redonner à ses concitoyens non seulement la confiance, mais aussi la rage de vaincre et le sourire, le président français est obligé de réinventer. Constamment. Inlassablement. Méthodiquement.
Clairement, Emmanuel Macron est un personnage à la fois de conte de fées et de tragédie. Parce que cette réinvention permanente, unique garantie de sa réussite, de la concrétisation de son himalayenne démarche, porte en elle les germes mêmes de la possible perte de l’apprenti-héros : les réformes. Pour réussir, Emmanuel Macron devra nécessairement les appliquer, stricto sensu, ces réformes; c’est-à-dire qu’il devra se thatchériser ou se schrödériser ; c’est-à-dire qu’il devra pousser les Français à se réinventer ; c’est-à-dire, très probablement, qu’il ne pourrait que finir en l’un des plus impopulaires hommes politiques de l’histoire de l’Hexagone. Est-ce qu’une majorité présidentielle indiscutable, avec des LR, un PS, une France insoumise et un FN marginaux pourrait atténuer le choc ? Est-ce qu’il lui faudra espérer sa guerre des Malouines pour prétendre à un deuxième quinquennat ? Est-ce qu’il pourra compter sur sa fameuse bonne étoile, sa baraka, sur une conjoncture, sur cet alignement des planètes qui l’ont tellement aidé depuis un an? Rien n’est moins sûr. Surtout que ces réformes sont impitoyables, sourdes, aveugles : c’est immédiatement qu’elles doivent être lancées.
En ce qui me concerne, dès ce soir, je serai au travail. Les mots de la fin du discours d’investiture d’Emmanuel Macron sont un champ de promesses. Petit problème : le travail est une condition absolument nécessaire, mais atrocement pas suffisante.