Depuis des mois, la machine à propagande du Hezbollah répète jusqu’à l’usure que l’action des combattants du parti en Syrie, notamment dans la région du Qalamoun, limitrophe du Liban, a permis de mettre fin à la vague d’attentats terroristes qui ont visé des régions chiites du pays au cours du second semestre de l’année 2013 et au début de l’année en cours.
L‘attaque de vendredi dernier à Dahr el-Beidar et le renouveau d’activité de la rébellion syrienne observé ces jours derniers dans le Qalamoun tendent à démontrer que les conclusions du parti chiite péchaient par excès d’optimisme.
Avec les graves développements survenus en Irak, pays dont l’implosion est en marche, les données du désormais vaste terrain de jeu sur lequel se règlent les comptes des puissances régionales, essentiellement l’Iran d’un côté et l’axe naissant saoudo-égyptien de l’autre, ont en quelque sorte été remises entièrement à plat. La question ne se limite guère à un simple rééquilibrage des forces en présence : l’action fulgurante des jihadistes sunnites dans le nord et l’ouest de l’Irak, en ce qu’elle comporte comme soutien de la part des populations sunnites concernées, a jeté un éclairage géopolitique nouveau sur la région, soudain dépouillée d’une partie des frontières qui la parcourent.
Dans ces conditions, on voit mal pourquoi et comment le Hezbollah, qui, en sa qualité d’instrument de la politique iranienne dans le territoire même que revendique Daech (EIIL, l’État islamique en Irak et au Levant), ignore lui aussi les frontières qui le traversent, réussirait-il à sanctuariser à son profit le sol libanais.
Cela étant dit, il convient d’observer qu’au-delà de l’aspect polémique de la cacophonie que les incidents de vendredi dernier, à Dahr el-Beidar, à Beyrouth et ailleurs, ont suscité dans les milieux officiels politiques et sécuritaires, on avait encore de la peine jusqu’à hier à évaluer avec plus ou moins de précision l’ampleur objective de ce qui s’est produit ce jour-là.
L’attaque-suicide survenue à Dahr el-Beidar était-elle de la même nature que les attentats perpétrés naguère contre les fiefs du Hezbollah ? On ne le sait pas à ce stade, même si l’on est en droit de constater que certaines parties politiques ont cherché délibérément à exagérer l’ampleur des événements.
Toujours est-il que des diplomates du Groupe de soutien au Liban, cités par notre correspondant au palais Bustros Khalil Fleyhane, hésitent à partager l’optimisme dont a fait part à ce propos, à Koweït, le Premier ministre, Tammam Salam, dont on comprend parfaitement l’ardent désir de sauver la saison touristique libanaise, surtout après l’appel des Émirats arabes unis à leurs ressortissants à éviter le pays du Cèdre. Et ces diplomates de rappeler que seules une application stricte de la doctrine de « distanciation » du Liban face aux guerres qui se déroulent dans la région et la sauvegarde de la stabilité politique par le biais de l’élection d’un président de la République permettraient d’épargner à ce pays la contagion des tueries régionales.
Sur le second point, peu de progrès ont été enregistrés depuis la semaine dernière. Des sources centristes assurent que le tandem chiite, y compris donc le Hezbollah, est désormais persuadé que le général Michel Aoun n’a guère de chances d’accéder à la présidence et qu’il conviendrait de s’entendre avec le camp adverse sur un candidat de consensus.
Le chef du PSP, Walid Joumblatt, se serait d’ailleurs fait l’écho de cette conviction lors de son entrevue, il y a quelques jours à Paris, avec Saad Hariri. Mais l’ancien Premier ministre s’est catégoriquement opposé à toute initiative concernant la présidentielle qui ne viendrait pas des chrétiens eux-mêmes. Il a une fois de plus réitéré, à cette occasion, qu’il n’avait de veto contre personne et qu’il était même prêt à soutenir le candidat du bloc joumblattiste, Henry Hélou, à condition toutefois que sa candidature soit d’abord adoubée par Bkerké et les formations chrétiennes.
Du côté du principal concerné, le général Aoun, aucun changement n’est à signaler à ce stade. Le chef du CPL sait qu’il joue son va-tout et que le scrutin de 2014 est, logiquement, sa dernière chance d’accéder à la présidence. Cependant, voyant le mur qui se dresse devant lui, il entame une campagne visant à inverser le calendrier en faisant passer les législatives avant la présidentielle, dans l’espoir que les premières influeront sur la seconde. Réussira-t-il à entraîner ses alliés chiites derrière lui ? Pour cela, il faudra que ses ambitions et l’ordre du jour régional du Hezbollah coïncident une fois de plus. Rien n’est moins sûr.