L’édito
Il y a neuf ans, jour pour jour, le 12 juillet 2006, la milice du Hezbollah lançait subitement des Katioucha contre le nord d’Israël, alors que la situation était depuis longtemps stable au Liban-Sud (depuis pratiquement six ans…). Simultanément, des combattants du parti traversaient la frontière, pénétraient en territoire israélien et enlevaient un soldat de « Tsahal », déclenchant ainsi une guerre dévastatrice qui durera un peu plus d’un mois. Elle fera plus de 1 500 tués au sein de la population civile et provoquera des destructions, ainsi que des pertes matérielles et économiques estimées à plusieurs milliards de dollars.
Avec le recul, et en se livrant à une rapide rétrospective des grands événements qui ont jalonné la scène libanaise durant la décennie passée, il apparaît évident que ce conflit destructeur déclenché par le parti chiite pro-iranien a constitué l’une des principales pièces maîtresses de la contre-révolution lancée par l’axe Téhéran-Damas pour saboter la dynamique souverainiste mise sur les rails lors de la révolution du Cèdre, au printemps 2005. Cette dynamique était porteuse d’un ambitieux projet politique national rassembleur, un projet de société, fondé sur une vision libaniste, innovatrice et démocratique du rôle du pays du Cèdre et de sa place dans la région.
Une telle vision, impliquant une option de paix civile durable couplée à la réalisation d’un équilibre interne stable, était clairement aux antipodes du projet centrifuge et transnational de l’axe syro-iranien. Elle représentait de ce fait un danger réel et immédiat pour les fondements des visées hégémoniques aussi bien du régime baassiste que du pouvoir des mollahs. D’où la nécessité d’étouffer dans l’œuf l’élan politico-populaire, sans précédent dans l’histoire contemporaine du Liban, apparu sur les places publiques au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri. La première phase de cette contre-révolution aura été marquée par la vague d’assassinats et d’attentats ayant visé nombre de symboles de l’intifada de l’indépendance tout au long de l’année 2005. La guerre de juillet 2006 a été, à n’en point douter, le deuxième grand assaut de cette contre-révolution. Elle a eu pour effet non seulement de stopper l’action du cabinet Siniora alors en place, mais de renforcer considérablement la position du Hezbollah, sous le prétexte d’une prétendue « victoire divine ». Du coup, c’est tout l’engrenage du projet du 14 Mars qui était ébranlé.
Pour parachever la fonction « contre-révolutionnaire » de la guerre de juillet 2006, d’autres opérations non moins déstabilisatrices et destructrices seront lancées par le tandem irano-syrien. En décembre 2006, le Hezbollah et ses alliés, dont notamment le courant aouniste, occupaient ainsi le centre-ville de Beyrouth et organisaient un sit-in permanent qui se poursuivra jusqu’au mois de mai 2008 pour couper court à toute possibilité de résilience au niveau du processus libaniste enclenché dans le sillage du printemps de Beyrouth. Cette occupation de l’espace public en plein cœur de la capitale, avec toutes les retombées économiques qui en découlent, atteindra son apogée le 7 mai 2008 avec l’offensive milicienne meurtrière lancée par le parti chiite contre les régions tenues par le courant du Futur et le PSP (deux piliers du projet souverainiste) à Beyrouth-Ouest et dans les secteurs druzes de la montagne.
Au registre de cette opération systématique de sabotage vient s’ajouter aussi la guerre de Nahr el-Bared dans laquelle a été entraînée l’armée libanaise, à l’instigation de Damas, et qui a duré de mai à septembre 2007. Autant de coups de Jarnac qui illustrent une réalité amère, confirmée par l’actuelle implication dans le conflit syrien : le projet de société du Hezbollah repose sur une situation de guerre permanente. La guerre pour la guerre constitue en quelque sorte l’oxygène politique du parti pro-iranien. La confrontation qu’il a enclenchée le 12 juillet 2006 en est, à cet égard, l’exemple le plus probant.