« Fouad Siniora agit contre Saad Hariri », selon le 8 Mars. Cette tentative « d’isoler » l’ancien Premier ministre serait une menace directe contre lui, soulignent des milieux du Futur à « L’OLJ ».
Depuis le lancement du Conseil national du 14 Mars, dont le communiqué a été lu samedi dernier par l’ancien Premier ministre, Fouad Siniora, le Hezbollah et ses alliés mènent une attaque frontale contre le chef du bloc du Futur, et subsidiairement contre le Conseil national. Le député Mohammad Raad avait été le premier à réagir à l’événement du Biel, en reprochant au Futur la dichotomie de son comportement à l’heure où le dialogue bilatéral est en cours. Il a été suivi par d’autres députés de son bloc, et surtout par des responsables politiques au sein du parti chiite, qui ont mis l’accent sur le décalage entre le discours de certaines figures du Futur – dont ils excluent expressément l’ancien Premier ministre et chef du parti Saad Hariri – et l’émergence de Téhéran comme premier protecteur de la coexistence dans la région, face au jihadisme. Le document du Conseil national du 14 Mars a été critiqué notamment pour avoir substitué à la mention de « terrorisme » les mentions de « violence et d’extrémisme », et pour avoir préconisé un règlement du conflit israélo-palestinien par le dialogue. Tout cet argumentaire devait aboutir au constat suivant : « Ceux qui attaquent l’Iran sont soit des sionistes, soit des terroristes. »
Le président de la Chambre, Nabih Berry, a ainsi dénoncé, en référence du discours du Biel, « un discours daechiste politique ».
Une accusation que l’ancien ministre Wi’am Wahhab a pris soin pour sa part de diriger nommément contre l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, dont il a dénoncé, dans le cadre d’un entretien à al-Jadid, « l’appartenance indirecte au projet sioniste ». En effet, ce dernier « œuvre contre tout rapprochement interlibanais et contre l’unité nationale. Il est un projet de discorde itinérant ». En plus de pointer du doigt directement Fouad Siniora, Wi’am Wahhab l’a placé en opposition directe avec Saad Hariri. « M. Siniora agit contre Saad Hariri, contre le Futur et contre l’intérêt de ce courant », estime-t-il, justifiant cette différenciation par le fait que le premier « est conscient qu’il n’a pas de place au sein du dialogue ». Reprenant la teneur d’une campagne menée par le 8 Mars qui insinue que le dialogue Futur-Hezbollah a pour but direct de ramener Saad Hariri à la présidence du Conseil des ministres, dans le cadre d’un package deal qui débloquerait la présidentielle, Wi’am Wahhab a estimé que « notre seul point de litige avec Saad Hariri porte sur sa position à l’égard du régime syrien ».
Allouche : Attaquer Siniora c’est attaquer le Futur
Cette attaque ciblée contre le président Siniora, initiée par le Hezbollah, est perçue par les milieux du 14 Mars comme une attaque contre le courant du Futur dans son ensemble, même si elle constituerait une menace directe contre l’ancien président du Conseil.
« Ils tentent d’attaquer le Futur à travers Fouad Siniora. Même si les positions de ce dernier sont la cible des critiques ouvertes du parti adverse, elles représentent le courant du Futur », souligne à L’Orient-Le Jour l’ancien député Moustapha Allouche, membre du bureau politique de ce courant.
M. Allouche insiste à plusieurs reprises sur « l’impossibilité d’isoler Fouad Siniora, comme le souhaiterait le Hezbollah ». Cette impossibilité de dissocier le chef du bloc du Futur de son parti étant confirmée, pourquoi le parti chiite chercherait-il à attaquer aujourd’hui le Futur, à l’heure où les deux parties affichent une volonté inconditionnelle de poursuivre le dialogue ?
Il y aurait deux niveaux de réponse.
Se limiter à la raison d’être initiale du dialogue Hezbollah-Futur, « qui se fonde sur certains enjeux intérieurs, notamment sur le plan de la sécurité », conduit à affirmer que le Hezbollah cherche, par son attaque contre le Futur à travers Fouad Siniora – tout en ménageant Saad Hariri –, à exprimer un reproche à son interlocuteur, sans toutefois risquer d’altérer le dialogue. Cette dualité est semblable à celle qu’entretient le Futur, dont les milieux sont conscients de s’être engagés dans un dialogue « qui a le mérite d’exister, sans plus ».
Le Hezbollah « gêné » par le Conseil national du 14 Mars
L’attaque dirigée contre le Conseil national du 14 Mars servirait cet objectif d’intimidation camouflée. Prié d’expliquer la gêne manifeste du Hezbollah par rapport à ce conseil, Moustapha Allouche affirme que « toute initiative du 14 Mars visant à le sortir de sa léthargie est inévitablement attaquée » par le parti chiite. Force est de relever que le Futur est sans doute celui des partis du 14 Mars ayant manifesté le plus d’enthousiasme face à cette initiative, qui se veut d’abord civile. « Ce qui gêne en réalité le Hezbollah, c’est son incapacité à créer un Conseil national du 8 Mars, puisque le parti chiite résume toute la coalition dont il fait partie. Il ne supporte pas cette liberté intrinsèque au 14 Mars », ajoute le responsable du Futur et ancien député de Tripoli.
Mais l’interprétation de la campagne actuelle menée par le Hezbollah doit prendre en considération un élément essentiel que le dialogue sunnito-chiite entretient pourtant l’illusion de résorber : la violence, intrinsèque à la pratique politique de ce parti.
« Il se passe actuellement quelque chose d’inhabituel, d’exceptionnel », qui se manifeste par une pression accrue exercée par le Hezbollah, affirme Moustapha Allouche. Cette pression se ressent aussi bien dans les réticences de certaines figures chiites indépendantes d’assumer une position à l’intérieur du comité fondateur du Conseil national – le journaliste Ali el-Amine, éminent critique du Hezbollah, qui figurait parmi les figures chiites de la société civile plébiscitées pour faire partie de ce comité, a ainsi fait paraître un communiqué au lendemain du congrès pour déclarer qu’il n’adhérerait pas à la nouvelle instance – voire de s’exprimer publiquement sur ce conseil. Et cette pression se dégage surtout, directement, de l’attaque menée contre Fouad Siniora, qui s’est abstenu hier de toute déclaration à la presse. Certains acteurs du 14 Mars craignent une « menace directe à peine voilée » – lire une menace de mort – contre ce dernier.
Toute cette violence serait le signe que le « Hezbollah est en crise, à l’heure où nous en sommes, au stade de la bataille décisive », souligne Moustapha Allouche. L’ancien député n’adhère pas toutefois à l’analyse selon laquelle les accords sur le nucléaire renforceraient l’emprise de Téhéran sur le pays. « Ces accords ont un prix, et l’Iran est prêt à renoncer au Hezbollah, puisque, sans la Syrie, le Liban perdrait toute sa portée stratégique. C’est l’Irak qui demeure la priorité pour Téhéran », conclut-il.