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La nouvelle loi électorale avalisée au pied levé

Sandra NOUJEIM |

 

Sans surprises, et à la quasi-unanimité des députés réunis en séance plénière – Kataëb compris –, la Chambre des députés a voté hier le projet de loi électorale qui lui avait été soumis 48 heures à l’avance par le gouvernement. L’intention claire du pouvoir était de clore au plus vite le feuilleton de la réforme, quitte à brûler l’étape du débat parlementaire.
Le député Boutros Harb, relayé par le député Samy Gemayel, a tenté d’obtenir du chef du législatif la convocation d’une séance supplémentaire pour garantir un débat de fond entre les parlementaires autour de ce projet fondamental. Réaliste, le président Nabih Berry a invoqué la procédure d’urgence prévue par le statut du Parlement pour justifier que le débat soit remplacé par un temps d’intervention « de cinq minutes » accordé à ceux qui demandent la parole. Et de rappeler à plusieurs moments du débat l’imminence d’avaliser le projet de loi. « Ce serait peu dire que l’échec du consensus électoral aurait été dangereux. En réalité, cet échec aurait provoqué une crise cruciale pour le pays », a déclaré M. Berry, pourtant conscient que « cette loi est le meilleur des possibles ». Il dira plus tard qu’il ne l’approuve « même pas à 70 % ». Coupant court ensuite aux remarques de M. Harb sur le vote des émigrés, il dira : « Vous savez tous que ce compromis a sauvé le pays. » « Êtes-vous sûr qu’il sauve le pays ? » rétorquera le député de Batroun, avant de se rasseoir en agitant la tête avec indignation. « Au moins il ne menace pas le consensus », dira M. Berry.

La problématique de l’enveloppe
Il reste que le débat a révélé, à travers les remarques formulées, les failles de la culture démocratique et du travail de législation au Liban. Ainsi, a été discutée la question – pourtant évidente dans une démocratie – de l’usage ou non d’une enveloppe pour y insérer le bulletin de vote avant de le glisser dans l’urne. Le projet de loi en question avait carrément opté pour la non-exigence de l’enveloppe. Le député Alain Aoun a ainsi expliqué hier qu’il a été convenu, avec l’aval du ministre de l’Intérieur, d’imprimer toutes les listes en lice sur un seul bulletin de vote, de manière à « faciliter » la tâche aux électeurs. Le format du bulletin devenant plus grand, envisager une enveloppe serait difficile… Il a fallu certaines interventions instructives, de la part du député Nagib Mikati notamment, pour dénouer la problématique de l’enveloppe. Maintenir l’usage de cet objet démocratique élémentaire sera d’ailleurs le seul amendement du projet de loi approuvé par vote à main levée à l’issue de la séance.

Pas de critère unifié
Des erreurs de forme – parfois flagrantes – ont en outre été corrigées, surtout grâce à une intervention méthodique du député Ahmad Fatfat. « La nomination d’un député » a été remplacée par « l’élection du député » – on soupçonne dans cette apparente inadvertance les traces de la proposition rejetée du Courant patriotique libre de confier au chef de l’État la compétence de « nommer » le successeur d’un député en cas de vacance permanente.
Une correction plus substantielle a été apportée au niveau de la terminologie : le terme caza a été remplacé par « petites circonscriptions », afin de couvrir tous les cas de figure présents dans le découpage. En effet, l’application du vote préférentiel par caza connaît quatre exceptions dans la nouvelle loi : le vote préférentiel appliqué à la circonscription est retenu exceptionnellement pour les circonscriptions de Baalbeck-Hermel et de la Békaa-Ouest-Rachaya. Cette exception vaut aussi pour Marjeyoun et Hasbaya. Ces deux cazas, qui font partie d’une circonscription plus large du Liban-Sud, seront considérés comme une seule unité. La quatrième exception est Beyrouth, divisée en deux circonscriptions, soit deux demi-cazas.
Ces exceptions n’ont pas manqué d’être critiquées par Akram Chehayeb et Samy Gemayel en ce qu’elles révèlent l’absence d’un critère unifié de découpage. Pour M. Gemayel, le seul critère à chercher serait du côté de Batroun, dans une référence à peine voilée au fait que le principe du vote préférentiel au niveau du caza serait taillé à la mesure des appétits du chef du CPL, Gebran Bassil.

Le siège des minorités
Le député Nabil de Freige a quant à lui pris la parole pour dénoncer – comme son confrère Tammam Salam – le transfert du siège attribué aux minorités, de Beyrouth II à Beyrouth I, soit de Mousseitbé à Achrafieh. « Pourquoi ne pas avoir retenu la proposition approuvée en février 2013 par le Parlement d’ajouter six sièges de députés », dont un aux minorités à Achrafieh et un autre à Zahlé ou dans le Metn ? a demandé M. de Freige. Sa proposition initiale de rajouter deux sièges aux minorités en contrepartie de deux sièges allant respectivement aux communautés chiite et sunnite avait été élargie pour inclure deux sièges supplémentaires, l’un attribué aux druzes, et l’autre aux grecs-catholiques. Selon nos informations, la réponse à la question de M. de Freige ne serait pas à chercher chez les Forces libanaises (FL), mais chez le CPL. Les premières étaient semble-t-il disposées à retenir la proposition initiale du rajout de six sièges, au lieu de transférer le siège des minorités d’un Beyrouth à l’autre. C’est Gebran Bassil qui s’y serait en revanche opposé.
Le député arménien du Metn Hagop Pakradounian a salué, de son côté, la réintégration de Medawar à la circonscription englobant Achrafieh et Saïfi.

Le débat sur la carte magnétique
Par ailleurs, la technique du vote a meublé une partie importante du débat. A été discutée, à l’initiative notamment de MM. Harb et Fattouche, l’attribution au Conseil des ministres de la compétence à mettre en œuvre certaines réformes du code électoral, comme la carte magnétique d’identification des électeurs, sans passer par le Parlement. Nicolas Fattouche a demandé au moins qu’il soit ajouté expressément dans le texte la précision que le vote en Conseil des ministres se fasse aux deux tiers, tandis que Boutros Harb a insisté pour qu’un projet de loi soit éventuellement soumis au Parlement. Une remarque retenue sans être formellement approuvée.
Du reste, le débat a révélé une confusion dans la rédaction du texte entre carte magnétique et « bulletin électronique » – un concept inexistant. Les deux expressions ont été utilisées pour signifier la même chose dans la rédaction du texte. Cette confusion s’est traduite au niveau du débat par une confusion entre carte magnétique et vote électronique.

Le vote des émigrés
Une autre question a porté sur la procédure de vote des émigrés aux prochaines législatives. Les précédentes entraves administratives à ce vote ont été imputées par certains au ministère des Affaires étrangères. Des entraves que le nouveau projet de loi ne semble pas lever. « Il semble que nous nous dirigions vers le vote des émigrés sur le territoire libanais », précise une source parlementaire à L’OLJ. En revanche, la question des six sièges supplémentaires aux émigrés (un siège par continent et par communauté) a fait l’objet d’un débat plus ou moins tendu entre le député Waël Bou Faour et Gebran Bassil, le premier révélant l’absence d’un consensus final sur la question.
D’autres parlementaires ont mis en garde contre le risque de créer un schisme entre les émigrés et leur pays d’origine si la modalité d’aménagement des sièges n’est pas pensée en profondeur.

Le quota féminin
La question du schisme entre hommes et femmes, elle, n’a pas pesé lourd. À la fin de la séance, les députés ont feint de voter à main levée pour intégrer le quota féminin dans le projet électoral. Le ministre Jean Oghassapian n’a pas manqué d’intervenir pour dénoncer ce qu’il avait présenté à L’OLJ comme « une absence de culture des droits de l’homme ». « Pourquoi faut-il que nous ayons un pacte national entre musulmans et chrétiens, et bientôt entre résidents et émigrés, et pas entre hommes et femmes ? » s’est-il demandé lors du débat, applaudi par des députés du bloc du Futur et du bloc aouniste.
Sur la forme, la plupart des blocs parlementaires ont résumé leurs interventions… Le Hezbollah n’en a fait aucune, si ce n’est la remarque du député Ali Ammar sur « la rouille » des décideurs dans leurs efforts pour mettre au point la nouvelle loi électorale. Le président de la Chambre a pris soin toutefois d’amender un article relatif à la création d’un compte bancaire spécifique pour la campagne de chaque candidat. Il a ajouté l’option d’un substitut à ce compte, qui serait une caisse établie au sein du ministère des Finances. Une manière « d’anticiper les sanctions (américaines en vue, NDLR) », a-t-il dit.

Réserves du Baas et du PSNS
Le Baas et le Parti syrien national social (dont le ministre Ali Kanso était absent à la réunion pour « cause de voyage ») sont les deux partis à avoir opposé un refus catégorique au projet dans son ensemble. C’est le cas aussi de Boutros Harb. Prenant la parole au début de la séance, le député Assem Kanso (Baas) a posé avec insistance la question de savoir pourquoi la proposition de loi fondée sur la proportionnelle avec le Liban comme circonscription unique est « la seule sur la liste des textes retenus par les commissions parlementaires à ne pas avoir été abordée ». Lorsqu’il a été prié par M. Berry de se rasseoir, il s’est résolu à se retirer de la salle, suivi par Nicolas Fattouche, qui a tenté en vain de le rattraper.

Hariri se retire, contre Gemayel
La séance sera marquée par un second exit, mettant en scène cette fois le Premier ministre Saad Hariri lui-même, en réaction à l’intervention de Samy Gemayel. Lorsque ce dernier a dénoncé un projet de loi qui n’est qu’un scrutin majoritaire « déguisé » dans le but unique de justifier un report des élections « afin de permettre au gouvernement de conclure des marchés à même de corrompre les électeurs », M. Hariri s’est levé pour prendre la parole. Nabih Berry a tenté de tempérer la colère manifeste du président du Conseil, en lui signalant, d’un ton complice, qu’il aurait le temps de s’exprimer plus tard… En vain, le Premier ministre s’est retiré de la salle, en poussant les chaises barrant son chemin. Il a été suivi par des membres de son bloc et le ministre Ali Hassan Khalil, avant de refaire son entrée quelques minutes plus tard, à l’issue de l’intervention du chef des Kataëb.