Même si la fin du mandat du commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, le 23 septembre prochain, est encore relativement éloignée, la polémique autour d’une éventuelle prorogation de ce mandat pour la seconde fois a d’ores et déjà émergé. Elle a été catalysée par une prise de position ferme du chef du bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun, qui s’oppose à cette prorogation dont il dénonce l’illégalité. Ce dernier a en effet annoncé hier, dans les colonnes du quotidien as-Safir, que cette option serait « une anomalie » face à laquelle aucun compromis ne serait acceptable. Il a précisé que son refus était un « refus de principe », sans lien avec les personnes concernées, assurant qu’il comptait aller « jusqu’au bout pour empêcher cette prorogation ».
Le général Aoun conteste notamment l’illégalité de la procédure envisagée pour proroger le mandat d’un responsable sécuritaire. Dût-elle être couverte par une entente politique, cette prorogation se ferait en effet par une décision du ministre de la Défense de repousser le départ à la retraite du général Jean Kahwagi, comme cela avait été le cas il y a un mois pour le secrétaire général du Conseil supérieur de la défense, le général Mohammad Kheir, et avant cela, pour la première prorogation du mandat du général Kahwagi, qui avait fait l’objet d’une décision prise par le ministre Fayez Ghosn. Or, pour le bloc aouniste, confier la prérogative de repousser le départ à la retraite d’un officier, « c’est contourner la compétence du Conseil des ministres en la matière », comme l’explique le député Sélim Salhab à L’Orient-Le Jour.
Selon l’avis juridique de l’ancien ministre et avocat Ziyad Baroud, retarder l’âge de la retraite relève de la compétence du ministre de la Défense et s’effectue par une décision du ministre concerné, « mais dans des conditions précises, comme l’état d’urgence ou de guerre ». Il faudra donc soumettre la question au Conseil des ministres, avant de confier la décision au ministre.
Quoi qu’il en soit, le bloc aouniste entretient une constante dans son refus des prorogations. C’est ce qu’a rappelé le député Farid el-Khazen afin de renforcer l’argumentaire aouniste contre la prorogation du mandat de Kahwagi. « Notre position n’est ni une manœuvre ni de la surenchère, mais une position de principe qui s’applique à tous les cas de prorogation, y compris la rallonge parlementaire », a-t-il souligné hier.
En contrepartie, c’est le président de la Chambre, Nabih Berry, relayé par les députés de son bloc, qui se fait le porte-voix de la prorogation du mandat du commandant en chef de l’armée. Ses arguments se basent principalement sur l’enjeu qui consiste à empêcher l’instauration d’un nouveau vide à la tête de l’institution militaire, à l’heure d’une grande mobilisation de la troupe face à la menace jihadiste.
« Nous sommes contre la prorogation par principe, mais est-il envisageable de laisser l’armée sans commandement face aux terroristes ? » s’est ainsi interrogé hier le député Yassine Jaber, faisant ainsi suite à la position de Nabih Berry la veille. Pour le bloc aouniste, une nouvelle prorogation ne ferait qu’affaiblir le moral de la troupe.
Mais le nœud de la polémique se situe au-delà des arguments échangés : il porte sur les chances réelles de désigner un nouveau commandant en chef de l’armée en Conseil des ministres, c’est-à-dire d’obtenir une entente sur un nouveau nom, auquel cas la nomination se ferait avec la même facilité que celle des nouveaux membres de la commission de contrôle des banques, la semaine dernière. Or l’émergence de cette polémique, autour du commandement de l’armée (et, subsidiairement, de la direction générale des FSI, le mandat du général Ibrahim Basbous devant arriver à terme en avril prochain), prouve que toutes les parties présument de l’impossibilité de trancher la polémique en Conseil des ministres : soit la désignation d’un nouveau commandant serait entravée par des divergences sur un nouveau nom, soit elle serait boycottée à l’avance par certaines parties qui souhaitent le maintien du général Kahwagi à la tête de l’armée.
Selon les milieux du 14 Mars, cette polémique aurait pour origine le rejet par le Hezbollah d’un éventuel départ à la retraite du général Kahwagi.
C’est ce que laisse entendre à L’Orient-Le Jour le ministre d’État pour la Réforme administrative, Nabil de Freige. « Le débat actuel a pour objectif de garder le général Kahwagi à la tête de l’institution militaire », souligne-t-il. En réalité, cette polémique se déroulerait, selon lui, d’une manière masquée, entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre, le premier souhaitant « maintenir l’équilibre que lui offre le général Kahwagi ». De plus, le parti chiite s’opposerait au nom proposé officieusement par le général Aoun. « Est-ce que le Hezbollah accepterait la nomination du général Chamel Roukoz à la tête de l’armée ? » demande Nabil de Freige, qui estime que le 14 Mars aurait dû, depuis la première prorogation du mandat de Kahwagi, soutenir le général Roukoz, « qui a fait largement ses preuves sur le terrain ». Ce soutien aurait peut-être, selon lui, révélé au grand jour cette confrontation entre les deux alliés du 8 Mars.
Si le député Sélim Salhab, membre du bloc du Changement et de la Réforme, confirme que « notre bloc semble être le seul à s’opposer à la prorogation du mandat Kahwagi », il précise néanmoins, en réponse à une question de L’OLJ, que « le Hezbollah n’a toujours pas déclaré sa position sur la question ». Tenter de cerner cette position ne serait qu’un « raisonnement par déduction », conclut-il.