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La présidentielle des petites phrases

BOUSSOLE

 

À défaut d’être président, on peut rencontrer un président. Le premier cas est évidemment plus rare que le second. Même l’occasion de rencontrer un président est limitée pour le commun des mortels, il faut alors penser au moment toujours historique pour celui qui en a l’occasion. Donc à défaut de dire ce que vous feriez si vous étiez président, vous demander ce que vous diriez au président si vous en aviez l’occasion. C’est un bon exercice, la petite phrase présidentielle. Comme un tweet, ça aiguise la pensée. C’est plus mémorable qu’un tweet, forcément. C’est un exercice de style où il faut entasser toute une vie.
Illustration.
Grâce à la gentillesse de l’ambassadeur de France, j’ai eu l’occasion de rencontrer le président de la République lors de sa visite au Liban. Je l’avais brièvement rencontré à Moukhtara la veille du 14 mars 2005, date spéciale s’il en est, mais je me souviens moins précisément de lui que de feu Pierre Maurois, un homme grand en couleur et en masse que j’avais invité à se joindre à nous le lendemain. « Ah, mais les manifestations, ça nous connaît », a-t-il répondu de sa grosse voie chaude de Nordiste. Nationalisme étriqué oblige, les envoyés distingués de l’Internationale socialiste à l’immense révolution non violente qui se déroulait au Liban n’ont pas défilé avec nous le lendemain. Dommage. Onze ans plus tard, François Hollande rebelote à Beyrouth pour lever le blocage de la présidence – c’était alors le général Lahoud, c’est aujourd’hui le général Aoun, deux tristes répliques putschistes de Bonaparte au rabais. Il n’était plus le chef d’un parti de l’opposition, mais le président en chair et en os d’un grand pays. Il fallait en profiter posément, et j’ai même confié une note préparée pour l’ambassadeur à nos deux journaux nationaux. (L’OLJ, 16.4.2016). Hélas il était clair que le président ne les avait pas lus. Donc pas de Tesla/Nissan Liban, pas de Collège de France à Beyrouth, pas de renouveau pour penser le conflit en Israël-Palestine, pas de vecteur non violent féminin à la tête de zones libres de baassistes et d’islamo fascistes. Lors de sa rencontre de la « société civile », avec de grands amis et amies, c’est le congrès euromed qui a dominé, une bonne initiative par ailleurs.
Il ne restait plus que la petite phrase présidentielle. À la sortie, les cinq sociétés civilistes, nous sommes retrouvés comme aux condoléances à lui serrer la main tour à tour. J’étais surpris de l’étiquette, mais il fallait bien dire quelque chose, lorsqu’on a la chance d’un tête-à-tête de trois secondes avec un président. Pris de court, j’aurais pu balbutier : « Ils sont fous ces Romains. » J’ai quand même dit, comme Obélix, la première chose qui m’est passée par la tête. « Et vous allez nous débarrasser d’Assad, n’est-ce pas ? » J’ai le souvenir qu’il m’avait repoussé gentiment.
Il y a dix ans, j’ai eu l’occasion de rencontrer le président américain, George W., sans s, par opposition à son père George, également sans s, mais avec H. W. C’était lors de ma campagne présidentielle, et les amis libanais qui me soutenaient aux États-Unis avaient réussi, efficaces et déterminés, à créer l’occasion avec le président. Ce soir-là, en mars 2006, j’ai eu trois secondes de serrement de main avec W. au Hilton de Washington. Il fallait bien que je dise quelque chose, et là j’avais eu le temps de préparer. « I am running for president of Lebanon, and I wanted to thank you for taking the lid off dictatorships in the Middle East. » Ou à peu près. J’ai eu droit en réponse à un grand regard de surprise chez mon interlocuteur présidentiel. Je persiste à dire à mes amis irakiens que W. mérite une statue au centre de Bagdad (on vient d’ériger à Tikrit une statue à l’effigie de la chaussure qu’on lui avait lancée à la figure…). L’Irak a mal tourné, peut-être, mais la dictature de Saddam n’est plus au pouvoir, ce n’est pas une mince affaire, grâce à Bush. Et nous n’aurions pas osé, en 2005, au Liban, nous insurger, si le couvercle n’avait été levé sur la pire dictature dans une région truffée de despotes. Nous ne le saurons jamais, l’histoire virtuelle est notoirement élastique.
Je n’ai jamais rencontré le président Obama, je n’en ai pas grande envie. Comme des dizaines de millions de personnes dans le monde, je m’étais enthousiasmé pour son élection. Homme de couleur dans une Amérique encore raciste, libéral dans son sens américain de gauche saumon, self-made man s’il en est, musulman par son père et pas trop honteux de l’être, enseignant de droit constitutionnel, anticolonialiste, comment pouvait-on ne pas s’enthousiasmer ?
Huit ans plus tard, c’est dur de constater, d’écrire que c’est le pire président américain que le monde a connu depuis la Seconde guerre mondiale. À cause de la Syrie.
Je lui ai quand même envoyé mon ouvrage sur la non-violence, avec pour dédicace « For Barack Obama, despite Syria ». Petite phrase revendiquée récemment par la fronde des 51 diplomates américains, badge d’honneur qui me rappelle le courage de nos députés qui avaient refusé le diktat du changement constitutionnel que le despote syrien avait imposé en septembre 2004. Cette fronde du département d’État marquera l’histoire, surtout qu’il semble probable qu’Assad survivra au pouvoir à Obama et que nous n’avons pas encore atteint le gouffre de l’horreur en Syrie. Comme les collègues au département d’État, j’aimerais bien que Barack Obama fasse un sursaut et aide les Syriens à se débarrasser d’Assad. Avec M. Hollande et d’autres. Comme Bush a débarrassé les Irakiens, et nous avec, de Saddam. Contre M. Chirac et d’autres.