Le Liban a beau faire partie d’une région en pleine ébullition et être lui-même proche de l’œil du cyclone, comme le montre l’insistance des jihadistes à s’inviter sur la scène locale sous la forme de bombes humaines ambulantes, l’immobilisme continue à y prévaloir au plan politique, le dossier de l’élection présidentielle paraissant toujours éloigné d’une avancée significative.
Quelque part dans le « Daechistan » syro-irakien, on a annoncé hier rien de moins que le rétablissement du califat au bénéfice du chef de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL, Daech), le dénommé Abou Bakr al-Baghdadi. C’est ce même « État » qui crucifie (littéralement) ces jours-ci des rebelles syriens de l’Armée syrienne libre et qui revendique les derniers attentats perpétrés – ou à demi manqués – au Liban.
On aurait pu croire que des développements aussi extrêmes, ajoutés à tout ce qui se passe dans la région depuis quelques semaines, allaient secouer quelque peu la torpeur déjà écrasante de l’été libanais en poussant les acteurs autochtones à se donner les moyens de sortir de l’impasse présidentielle. Mais rien n’y fait, et la présidence de la République libanaise est appelée à rester, jusqu’à nouvel ordre, l’otage de l’affrontement en cours entre une logique jusqu’au-boutiste et ultrafédéraliste, défendue par le général Michel Aoun et son entourage, et une approche plus traditionnelle et souple, à laquelle la diplomatie internationale paraît clairement s’être ralliée.
Dans les milieux aounistes, où l’on ne fait guère dans la nuance, l’équation est très simple : tout comme le président de la Chambre est l’homme fort des chiites et le Premier ministre est le champion des sunnites, le chef de l’État devrait être le premier des maronites. Comprendre : Michel Aoun ou personne ! Les interlocuteurs ont beau chercher à expliquer que les angles ne sont pas si pointus que cela, qu’en termes de popularité, Nabih Berry est depuis des lustres le « numéro deux » chez les chiites, que Tammam Salam est loin d’être le meneur chez les sunnites et qu’à défaut d’être roi, on peut être faiseur de roi, le blocage reste entier…
… Ou presque : près de deux semaines après l’initiative de Samir Geagea, qui avait proposé au chef du CPL des alternatives à leurs candidatures à la présidence, le général Aoun s’apprête aujourd’hui lundi à lancer la sienne, en deux volets, l’un portant sur la présidentielle et l’autre sur les élections législatives, prévues normalement à l’automne prochain.
Sur la première, il serait question d’un appel à modifier la Constitution pour élire le président au suffrage universel selon le mode suivant : lors d’un premier tour, seuls les électeurs chrétiens seraient appelés aux urnes pour désigner deux candidats, l’électorat tout entier étant censé élire l’un des deux au second tour.
La même philosophie de base devrait être mise en œuvre aux législatives : en somme, un projet « orthodoxe » revu et corrigé, l’électorat pluriconfessionnel devant à chaque fois attendre pour intervenir que les communautés aient d’abord choisi leurs candidats respectifs.
Quel accueil cette initiative recevrait-elle dans les milieux politiques ? On le saurait probablement dès aujourd’hui, mais il est douteux qu’un chantier constitutionnel aussi ambitieux que celui qui est induit par l’élection du président au suffrage universel puisse trouver son chemin, sereinement ou pas, dans le contexte libanais et régional actuel.
Face à la logique aouniste, un mouvement politico-diplomatique commence à se mettre en branle, sans que l’on puisse évaluer à ce stade ses chances de succès. Après la tentative esquissée il y a quelques jours par le représentant de l’Onu à Beyrouth, Derek Plumbly, auprès du chef du CPL lui-même et des concertations tous azimuts entreprises par d’autres ambassadeurs accrédités dans la capitale, à commencer par l’Américain David Hale, les tractations se transposent une nouvelle fois à Paris et à l’échelon le plus haut.
Le chef du PSP, Walid Joumblatt, qui s’est envolé hier soir pour la capitale française, doit être reçu, en effet, en ce début de semaine, par le président François Hollande, lequel avait reçu dernièrement Saad Hariri. Dans les milieux joumblattistes, on indique que le leader druze va tenter de promouvoir la candidature d’Henry Hélou auprès des dirigeants français.
D’autres sources centristes s’attendent à ce que, dès son retour, M. Joumblatt se concerte avec le président de la Chambre en vue d’une initiative en direction de Bkerké. Il s’agirait, en clair, d’inciter le patriarcat maronite à trancher en faveur d’un candidat de consensus. Un émissaire du Saint-Siège serait par ailleurs attendu dans les prochains jours à Beyrouth, apprend-on à l’heure où l’on fait également état de concertations franco-vaticanes et franco-russes sur le dossier présidentiel libanais.
Du mouvement, certes, mais pas encore de fenêtres d’espoir.