Recep Tayyip Erdogan chercherait-il à « corriger » par les armes le verdict des urnes ?
Depuis l’attentat meurtrier du 20 juillet, à Suruç près de la frontière syrienne, le pouvoir turc a choisi de faire d’une pierre deux coups en alliant punition et répression. Punition à coups de bombardements contre les jihadistes de l’organisation État islamique en Syrie, soupçonnés d’être derrière l’attentat de Suruç. Un groupe à l’égard duquel Ankara, même s’il s’en défend, a longtemps été accusé de complaisance. Répression, là aussi par des frappes aériennes, contre les « terroristes » du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le nord de l’Irak. Des actions militaires accompagnées de vagues d’arrestations dans les rangs jihadistes et du PKK mais aussi au-delà, des dizaines de militants de gauche ou prokurdes ayant été raflés dans un même mouvement.
La nouvelle stratégie d’Erdogan s’inscrit dans un contexte bien particulier.
Sept semaines après le camouflet enregistré aux législatives par son parti, l’AKP, enterrant par là même le projet d’hyperprésidence d’Erdogan, un gouvernement de coalition n’a toujours pas vu le jour. Aujourd’hui, le président pourrait être tenté de jouer contre la montre. Si aucun gouvernement n’est formé d’ici au 23 août, il pourra dissoudre le Parlement et provoquer des élections anticipées. L’occasion de récupérer les déçus des dernières élections et remettre l’AKP en position de majorité absolue. Pour ce faire, le président peut jouer sur deux tableaux dans le cadre de ce qui est présenté comme une guerre totale contre le terrorisme régional : une réactivation de la fibre ultranationaliste et un affaiblissement du parti démocratique des peuples (HDP, prokurde).
En s’engageant contre l’EI et en mettant la base d’Incirlik à la disposition des Américains, Erdogan décroche la possibilité d’empêcher les Kurdes de Syrie d’étendre leur influence à la frontière turque.
Par ailleurs, en repositionnant toute l’actualité autour du PKK, il affaiblit de facto le trublion des dernières législatives, le HDP qui avait raflé 13 % des voix à l’échelle nationale, un score historique pour un parti kurde. Alors que le PKK, qui revendique le meurtre de policiers, redevient l’acteur central de la question kurde, le HDP, qui parie sur les négociations plutôt que le son du canon, risque de perdre l’élan qui lui avait permis de faire entrer 80 députés au Parlement.
La guerre d’Erdogan risque non seulement de polariser la société turque mais aussi d’enterrer un cessez-le-feu avec le PKK qui tenait depuis 2013. Elle est aussi probablement la meilleure stratégie pour pousser les électeurs à redonner à l’AKP la majorité absolue qu’il a eue pendant 13 ans. Avec, à la clé pour Erdogan, la possibilité de ressusciter son rêve d’hyperprésidence que les urnes avaient brisé.