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La sémantique au secours de la cohésion gouvernementale

 

La situation

Élie FAYAD

Au lendemain de la secousse qui a failli embraser le front du Liban-Sud, pour la première fois aussi sérieusement depuis 2006, tous les acteurs concernés, ou presque, paraissaient hier être tirés d’affaire et avoir pris leur parti de ce qui s’est produit mercredi.
Il s’agit, certes, en premier lieu du Hezbollah, qui doit s’estimer suffisamment vengé du raid israélien sur Kuneitra, sans pour autant avoir eu à bouleverser la donne militaire dans la région ; ensuite d’Israël, et tout particulièrement son Premier ministre, Benjamin Netanyahu, qui pourra toujours se parer devant ses électeurs du décalage arithmétique entre les bilans des uns et des autres (deux militaires israéliens tués dans les fermes de Chebaa contre six cadres du Hezbollah et un général iranien à Kuneitra) ; et enfin, du gouvernement libanais, habituellement dindon de la farce et qui, par une manœuvre de haute voltige, est parvenu à préserver sa cohésion interne grâce à un subtil dosage de mots.
Il faut dire que le Hezbollah lui avait facilité la tâche, si l’on ose dire, en mettant au point une opération qui a incontestablement réussi à concilier deux objectifs contraires : frapper les esprits en faisant relativement mal à l’armée israélienne, mais de telle façon à ne pas risquer une remise en question de l’ordre prévalant depuis 2006 au Liban-Sud.
Rien de pareil, en effet, à ce qui s’était produit le 12 juillet de cette année-là, lorsqu’une unité du Hezbollah est entrée en territoire israélien, a tué un certain nombre de soldats ennemis et capturé d’autres. Cette fois-ci, l’objectif visé se trouvait sur un territoire reconnu par la communauté internationale comme étant occupé par l’État hébreu, même s’il existe toujours une confusion, savamment entretenue depuis des années par Damas, sur le point de savoir si ce territoire est libanais ou syrien.
Faut-il pour autant considérer, comme nous y invitent non seulement les composantes du 8 Mars, mais aussi l’entourage du chef du gouvernement, dans des déclarations tenues avant le Conseil des ministres d’hier, que du fait des précautions prises par le Hezb, on n’est pas en présence d’une violation de la résolution 1701 ? Tel n’est guère le point de vue de la Finul, dont le porte-parole a réaffirmé hier qu’il y avait eu clairement une « violation » de l’accord de cessation des hostilités. Si, à New York, le Conseil de sécurité a évoqué des « échanges de tirs », le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, a quant à lui fait également état de violations de la 1701, de même que le Quai d’Orsay.
Au sein même du gouvernement, le ministre du Travail, Sejaan Azzi (Kataëb), défend une position similaire, estimant qu’il y a eu une violation non seulement de la résolution 1701, mais aussi de la souveraineté libanaise.
Toujours est-il que ce désaccord n’a pas empêché que le débat en Conseil des ministres sur les événements de mercredi se déroule dans le calme. Les ministres se sont d’ailleurs parfaitement accordés à proclamer leur attachement à la 1701 et ont souligné « la nécessité de ne pas fournir à Israël l’opportunité d’entraîner le Liban dans un vaste conflit mettant en péril (…) la paix régionale ». Cette phrase est importante dans la mesure où les deux ministres du Hezbollah y ont souscrit, mais certains observateurs y ont vu surtout un blanc-seing gouvernemental dès lors qu’il s’agirait d’opérations non susceptibles d’entraîner les conséquences décrites.
Deux ministres du 14 Mars contestent toutefois cette analyse. Rachid Derbas (Affaires sociales) a noté, sur la NTV, que le Conseil des ministres n’a « guère justifié le recours à des opérations militaires qui ont lieu sans sa connaissance ». On peut d’ailleurs constater, à ce propos, que le gouvernement n’a émis hier aucun jugement de valeur, ni positif ni négatif, au sujet de l’attaque menée par le Hezbollah.
Quant à M. Azzi, il précise que le compte rendu de la séance ne « couvre » pas des opérations menées par de quelconques parties, mais uniquement celles de l’armée libanaise et des forces de sécurité.
Tout le monde est donc plus ou moins satisfait à ce stade, la sémantique gouvernementale étant de nature à aider les diverses parties à maintenir chacune ses vues. Le 14 Mars va continuer à accuser le Hezbollah de confisquer à l’État la décision de guerre et de paix, fonction régalienne par excellence, et Hassan Nasrallah, secrétaire général du parti chiite, va très probablement revêtir aujourd’hui, une fois de plus, devant son public, les habits du « vainqueur par la volonté divine ».
Mais pour ce qui est de savoir si l’intérêt du Liban est pris en compte dans tout cela, c’est une autre paire de manches.