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La sourde oreille

 

À peine retombés les serpentins de la fête, c’est sur un deuil national qu’aura démarré l’année nouvelle : l’immuable alternance des choses de la vie se chargeant de nous rappeler que rien n’est jamais totalement blanc ou noir. Et qu’en dépit des fermes espérances que nourrissent les Libanais, tout ne sera pas forcément rose en 2015.
Comme nombre d’autres personnages publics, Omar Karamé, que l’on portait en terre hier, était loin de faire l’unanimité. Il n’avait pas le panache, ni les nerfs d’acier, de son aîné Rachid, assassiné en 1987, et dont il avait hérité un substantiel leadership populaire à Tripoli en même temps qu’une carte d’habitué au club très fermé des Premiers ministres. Des années durant, il n’avait été que le suppléant de circonstance, une sorte de Monsieur Frère. À plus d’une occasion pourtant, cet étroit allié de la Syrie se montrera inopinément rétif. Étrillé aux élections législatives de 2000, il se dira publiquement victime des ingérences inamicales des services de renseignements… syriens ! Mais surtout, il est un des très rares chefs de gouvernement libanais à avoir, et même par deux fois, rendu son tablier sur injonction non point de quelque patron étranger mais de l’opinion publique. Débordé par de violentes manifestations organisées en signe de protestation contre la baisse dramatique du pouvoir d’achat, il démissionne ainsi en 1992. Et au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri en 2005 c’est l’ampleur sans précédent de la colère populaire qui le porte à récidiver. Au contraire de bien des pseudo-démocrates Omar Karamé – et il l’a bien prouvé – n’était pas sourd aux clameurs des citoyens.
Relever ce fait, ce n’est pas seulement rendre justice à la mémoire du disparu : c’est aussi souligner, au seuil de cette année nouvelle, l’urgente, la pathétique nécessité pour notre pays d’un retour à une certaine normalité à l’heure où tout se défait à grand fracas autour de nous. Une telle normalité, il est superflu de dire qu’elle est due au peuple ; il ne s’agit pas là d’un cadeau, d’une aumône, le même peuple étant censé être en effet la source de tous les pouvoirs. Or c’est à ce peuple qu’ont fait insulte une première fois ceux qui, de bien mauvaise foi, ont refusé de reconnaître comme telle la majorité issue des élections libres de 2009. C’est lui de même que l’Assemblée a tenu en mépris en reconduisant par deux fois son propre mandat, faute d’une loi électorale donnant satisfaction à toutes les pièces du puzzle libanais. Et c’est encore et toujours de lui que l’on se moque en torpillant systématiquement le quorum parlementaire, bloquant de la sorte l’élection d’un président.
Tout cela peut-il changer par la grâce du dialogue engagé entre le courant du Futur et le Hezbollah, et de la concertation projetée entre les deux frères ennemis maronites, Michel Aoun et Samir Geagea? On ne peut évidemment que l’espérer. Dans un camp comme dans l’autre, on n’est pas avare de discours et de déclarations télévisées. Et si, pour changer, tout ce beau monde dressait l’oreille et se mettait enfin à l’écoute de la vox populi ?