Il a fallu que le Conseil des ministres tienne une réunion-marathon de près de huit heures, jeudi, pour décider enfin de présenter un front relativement uni face aux organisations terroristes dans l’affaire des otages militaires. Mais cette belle unanimité derrière le Premier ministre ne porte jusqu’ici que sur le principe de la négociation pour obtenir la libération des militaires détenus par leurs ravisseurs depuis deux mois, et pas vraiment sur l’option d’un marché comportant un échange de détenus islamistes à la prison de Roumieh contre les otages.
Sur ce point, les avis demeurent divergents entre les membres du cabinet, certains se disant plus ou moins ouvertement favorables à un échange alors que d’autres continuent d’émettre des réserves à cet égard, tout en ne posant apparemment plus de veto sur cette option.
C’est ce qui ressort des propos tenus hier par le ministre de la Santé, Waël Bou Faour, désigné par le Conseil des ministres pour être l’intermédiaire entre lui et les familles des otages. M. Bou Faour visitait pour la deuxième journée consécutive les familles bloquant la route internationale au niveau de Dahr el-Baïdar. N’ayant pu les rassurer sur une issue rapide de leur calvaire, le ministre devait quitter les proches des otages sans avoir réussi à obtenir d’eux qu’ils mettent fin à leur action. Bien au contraire, ils semblaient plus déterminés que jamais à poursuivre leur mouvement jusqu’à s’assurer du feu vert définitif des autorités à l’option de l’échange, la seule qui, à leurs yeux, est susceptible de leur rendre vivants leurs enfants.
Mais en dépit de l’incertitude qui persiste dans ce dossier, une incertitude en partie favorisée par la décision gouvernementale de tenir autant que possible le processus de négociation à l’écart de tout tapage médiatique, il faut croire que des lueurs d’espoir existent, non seulement dans l’affaire des otages, mais aussi pour ce qui est de la situation sécuritaire dans son ensemble.
Des sources politiques bien au fait des dossiers de sécurité se sont, en effet, efforcées hier de relativiser les propos tenus la veille par le commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, qui avait déclaré à SkyNews s’attendre à un déclenchement d’une seconde bataille dans le secteur de Ersal.
Sans exclure le moins du monde le risque d’une nouvelle confrontation entre le Liban et les groupes extrémistes, ces sources soulignent toutefois qu’un certain nombre de données objectives font pencher la balance plutôt dans le sens contraire, à commencer par la persistance d’un climat international – et régional – tendant à faire de la stabilité du Liban une « ligne rouge » à ne pas franchir.
Toujours est-il que la principale de ces données est que des organisations comme « l’État islamique » (EI, ex-Daech) et le Front al-Nosra, aussi criminelles soient-elles, ne sont pas stupides pour autant. Pourquoi, en effet, voudrait-on les voir ouvrir un nouveau front alors qu’elles ont déjà fort à faire en Irak et en Syrie et que les choses risquent encore de se compliquer davantage pour elles avec l’entrée dans la coalition internationale anti-jihadistes de la Turquie et de la Jordanie ?
Même à supposer que ces groupes ont quelque intérêt à « se déverser » sur le Liban pour fuir les frappes dont ils sont la cible, il est aujourd’hui établi aux yeux de tout le monde – et donc à leurs yeux aussi – que l’environnement sunnite libanais est loin, dans l’ensemble, de leur être propice. Ce ne sont pas seulement les prises de position de Saad Hariri qui poussent à ce constat, c’est aussi l’état des choses sur le terrain.
À en croire les mêmes sources, le danger de Daech et Cie existe, il ne sert à rien de le nier, mais il convient aussi de noter que certaines parties libanaises, pour des raisons diverses, tendent à exagérer résolument ce danger à des fins politiques.
Le maximum auquel pourraient aspirer les organisations extrémistes, c’est de faire dans des zones frontalières au Liban ce qu’elles ont plus ou moins réussi à faire du côté syrien du Golan, où elles se sont aménagé une sorte de zone de repli après avoir libéré les dizaines de militaires de l’Onu qu’elles avaient également pris en otage.
Il reste que le Liban n’est jamais à l’abri d’un dérapage, d’autant que la vacance présidentielle qui se prolonge fragilise encore davantage le pouvoir de décision à tous les niveaux de l’État.
Sur ce plan, rien de nouveau ne se profile à l’horizon, mis à part le fait que le congé de l’Adha va permettre la reprise des contacts extra-muros, notamment à Paris où l’ancien président Amine Gemayel doit s’entretenir aujourd’hui avec le chef du courant du Futur et où se trouve aussi Walid Joumblatt, mais en principe pour des raisons médicales. Mardi, par ailleurs, M. Hariri sera reçu par le président François Hollande.
Plus tard, le programme pour les deux semaines à venir s’annonce chargé : on s’attend à un forcing en règle pour faire passer la prorogation de la législature…