Le trajet qui se parcourt en moins de quinze minutes en bus, de la ville de Zahlé à la contrée périphérique de Dalhamiyé dans la Békaa-Est, en passant par Rayak, s’ouvre sur des étendues vertes – un vert particulier, l’annonce d’un printemps neuf, d’une promesse. Le paysage laisse entrevoir ponctuellement, enfouis à plusieurs dizaines de mètres de l’artère, des reliefs vagues d’agglomérats de tentes. L’on devine quelques-uns des trente-trois camps sauvages de déplacés syriens établis à Dalhamiyé.
La voie routière est parsemée de hameaux, dont les petites bâtisses rurales en béton côtoient parfois des tentes de nylon improvisées pour accueillir des déplacés. De nombreux déplacés continuent d’inventer ou de construire leurs propres abris en dehors des camps informels, bénéficiant parfois de la bienveillance d’hôtes qui les abritent. Selon Tatiana Audi, porte-parole du Haut Comité de secours (HCR) dans la Békaa, « les tensions entre les déplacés et les habitants à Dalhamiyé sont négligeables ». Dans le sillon de ces hameaux, une atmosphère d’attente se fait ressentir. Des locaux réunis autour du café dominical épient ou saluent les bus transportant des journalistes français et libanais, venus couvrir une partie de la tournée de François Hollande dans la Békaa. Certains militaires sont en poste sur les toits des maisons pour garder le chemin vers l’un des camps informels les plus larges de Dalhamiyé, dit camp 61 (selon un codage adopté par le HCR). Ce camp a été aménagé il y a six mois pour accueillir des déplacés syriens « évincés » du village de Faour (l’éviction est un phénomène courant, ayant plusieurs causes : l’indisponibilité du terrain occupé par les déplacés, les pressions de la municipalité, etc., auquel le HCR tente de remédier).
Ce camp où se rend M. Hollande compte 94 tentes, abritant 564 déplacés, dont 80 % sont originaires d’Idleb. Parmi eux, Sahar, une Syrienne de 23 ans – originaire de Bab Amr à Homs – attend, son nourrisson aux bras, du président français la promesse de rejoindre son mari en Allemagne. C’est avec elle et ses beaux-parents que le responsable choisit en effet de s’entretenir, sous l’une des tentes du camp. L’histoire de la famille semble résumer le périple des déplacés, qui atteint désormais l’Europe : arrivé il y a près de trois ans au Liban, le mari, ouvrier dans sa ville d’origine, a peiné à trouver du travail au Liban. Il a fini par opter pour la fuite clandestine. Parti en Turquie il y a huit mois, il a emprunté ensuite la voie maritime périlleuse vers l’Allemagne où il attendrait actuellement d’obtenir son permis de séjour.
« Je vais demander au président Hollande de me ramener avec lui pour que je rejoigne mon mari », avait confié Sahar préalablement à l’arrivée de la délégation officielle vers midi et demi.
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L’espoir
La rencontre se fera loin des médias. La jeune femme en confiera ensuite la teneur avec une certaine retenue. « Il s’est engagé à nous réunir, mon mari et moi », dit-elle à L’Orient-Le Jour. « Ce n’était pas une véritable promesse. Il existe beaucoup d’entraves à mon départ en Allemagne, liées au permis de séjour », poursuit-elle. En dépit de sa situation de détresse, son visage est placide, maquillé et entouré d’un voile rouge bordeaux. Il ne laisse entrevoir d’émotion qu’à l’évocation de son mari. « Il était parti sans me dire qu’il allait emprunter la voie maritime, trop périlleuse. Parce qu’il savait que je l’en aurais empêché » : ses yeux s’éclairent, son sourire se dessine, et sitôt se crispe. Elle travaille actuellement pour l’Unicef comme animatrice dans un espace ami des enfants dans le camp, où le président français a été reçu par ailleurs par des petits Syriens lui portant des fleurs. Ces espaces, dont une centaine ont été aménagés aux quatre coins du Liban par l’association nationale Beyond avec le financement de l’Unicef, offrent aux jeunes de trois à quatorze ans, des activités récréatives, une alphabétisation élémentaire et surtout des activités psychosociales, préalablement ou parallèlement à leur scolarisation, entravée par de nombreux facteurs, mais sans s’y substituer. « Nous souhaitons aider les enfants à développer leur mémoire du beau, ramener leurs beaux souvenirs de Syrie », explique à L’OLJ Soha Boustany, porte-parole de l’Unicef.
Ce sont des sourires d’espoir qui accompagneront le président français dans le camp. C’est sur l’espoir du retour des déplacés chez eux que celui-ci mettra l’accent, lors d’un point de presse avec les médias.
« Le retour est la priorité, c’est ce que souhaitent aussi les Libanais, qui refusent la naturalisation de déplacés qu’ils ont néanmoins très généreusement accueillis », dit-il. Il précise en outre que sa visite « a pour objectif d’exprimer notre soutien et notre solidarité avec le Liban et avec les organisations humanitaires », impliquées dans la gestion de la crise des déplacés syriens. Il s’attarde sur les conditions éducatives et sanitaires des enfants syriens, « contraints de travailler à l’âge de huit ans pour subvenir aux besoins de leurs parents, ce qui est inacceptable ». Saluant la société d’accueil libanaise, il met l’accent sur l’engagement de la France à « soutenir le Liban ».
Double preuve de solidarité
« Concrétiser cet appui » étant l’objectif principal de la visite officielle de M. Hollande, selon une source autorisée, l’aide de cent millions d’euros, annoncée la veille par le président français, y obéit.
Le versement de cette aide doit s’étendre sur les trois prochaines années, mais il a été décidé d’en verser la première moitié, soit cinquante millions cette année. Une décision prise quelques jours avant la visite du président français, face à l’urgence de la situation, confie une source de la délégation à L’OLJ. Elle explique que l’aide servira à financer directement des projets, évalués et suivis par le Quai d’Orsay, relevant de l’État libanais (comme la scolarisation), des agences de l’Onu, et d’associations libanaises et internationales, notamment l’association Amel, IECD Liban, Première urgence internationale, Acted et Solidarité internationale. Ce sont les représentants de ces ONG que François Hollande rencontrera ensuite au siège du HCR à Zahlé, avant de s’entretenir avec deux familles de Syriens musulmans installés dans la Békaa en dehors de camps informels et qui seront bientôt accueillis en France : il s’agit d’un couple qui s’était rencontré et marié au Liban, et d’une famille formée de six enfants et originaire d’Alep. Cet accueil de déplacés se veut aussi une forme de solidarité concrète avec le Liban.
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Ni le terrorisme ni le chantage du régime syrien
« La France a accueilli près d’un millier de réfugiés en 2015, et prévoit d’en accueillir deux mille en 2016 et 2017 », rappelle M. Hollande lors de son point de presse, en revenant toutefois sur le retour incontournable des déplacés. « Ce que réclament les familles de déplacés n’est pas de voyager hors de leur pays, mais de rentrer chez eux au plus vite et de reconstruire leur pays », affirme-t-il. Sa visite aura mis la lumière sur l’humanité des déplacés affluant en Europe suscitant peur et confusion.
Le président français n’a pas manqué de souligner dans ce cadre « les responsabilités de la France à mettre un terme à la crise syrienne et assurer une transition politique. Cela fait près de quatre ans que je m’applique à lutter contre le terrorisme et à dire que le chantage exercé par le régime syrien est inacceptable ». « Dès que la paix, et cela est possible, sera instaurée en Syrie, ces familles (de déplacés) rentreront chez elles. Mais il faudrait entre-temps accompagner les enfants victimes de violence », ajoute-t-il.
Placée sous le signe de « l’action de la France » pour le Liban, la visite (« de travail ») de François Hollande, n’étant « pas une visite d’État », aura permis par ailleurs de mettre en relief la vacance présidentielle, selon une source autorisée. Interrogé sur l’hypothèse d’un consensus, le président français précise que « la France a un seul candidat, qui est le Liban ». Refusant de s’ingérer dans ce dossier, il relève « la nécessité d’élire un président chrétien au Moyen-Orient ».
L’aide à l’armée
Entouré par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, et son homologue libanais, Samir Mokbel, le président français met l’accent une nouvelle fois sur le soutien militaire à l’armée, en dépit de la suspension de l’aide saoudienne. « Vous savez que l’aide saoudienne à l’armée a été suspendue, mais la France continuera de réclamer son déblocage. En attendant, elle continuera de fournir une aide à l’armée. Elle apportera elle-même l’aide militaire au Liban », souligne-t-il. La mise au point de l’aide que la France entend verser à l’institution militaire a été confiée à M. Le Drian.
Un haut responsable présent dans la délégation est réticent à dire néanmoins que l’aide saoudienne est révolue. « Le processus n’est pas bloqué », précise-t-il.
À la question de L’OLJ de savoir s’il existe une menace sécuritaire, voire existentielle au Liban, le responsable répond, après un temps de réflexion : « Le Liban est dans une situation de stabilité fragile, mais de stabilité. Et c’est tant mieux. »