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La visite de Abbas paverait-elle la voie à une relance de l’initiative arabe de paix ?

 

Sandra NOUJEIM |

La visite du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à Beyrouth est la première visite officielle d’un chef d’État arabe depuis la présidentielle.
Bien que coïncidant avec une situation sécuritaire critique dans le camp de Aïn el-Heloué, cette visite servirait en premier lieu à renforcer les relations bilatérales libano-palestiniennes officielles avant que de mettre de l’ordre à l’intérieur des camps de réfugiés palestiniens.
Outre les félicitations protocolaires dues au président de la République Michel Aoun pour son élection et au Premier ministre Saad Hariri pour la formation du gouvernement, ainsi que les appels mutuels de principe à éviter tout dérapage sécuritaire dans les camps, les échanges entre le président Abbas et ses interlocuteurs libanais se seraient focalisés sur le rôle que le Liban aurait à jouer, à l’échelle régionale et internationale, en faveur de la solution à deux États qu’Israël tente actuellement de « fuir », souligne une source du courant du Futur.
Selon cette source, la réponse de M. Hariri à son interlocuteur aurait été très claire dans le sens d’un « soutien à l’initiative arabe de paix », présentée en 2002 par le roi d’Arabie lors du sommet arabe de Beyrouth, et qui définit entre autres les conditions d’une normalisation des relations arabo-israéliennes. Pourtant étouffée dans l’œuf par le régime syrien alors, cette initiative a récemment été défendue par le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, qui, pour justifier en Conseil des ministres son absence à la Conférence pour la paix au Moyen-Orient à Paris en janvier dernier, avait allégué l’évocation liminaire et nébuleuse de l’initiative arabe de paix par le communiqué final de la conférence. Pour la source du courant du Futur, il ne fait pas de doute que le soutien à cette initiative fait l’objet d’une « position officielle unifiée du gouvernement libanais ».
Du côté du président Mahmoud Abbas, l’enjeu de « renforcer la solidarité du Liban avec la cause palestinienne, surtout dans les chancelleries », à la lumière du durcissement de la position israélienne, est confirmé par le directeur du bureau de l’agence de presse palestinienne Wafa à Beyrouth, Wissam Abou Zeid.
Ce dernier valorise à cet égard le fait que le président de la République ait mentionné « le droit » des Palestiniens au retour, dont il a souhaité la mise en œuvre par le biais d’une « solution politique définitive ». Pour ce qui est d’une possible revitalisation de l’initiative arabe de paix, M. Abou Zeid se contente de répondre : « Attendons voir le prochain sommet arabe. »
L’autre volet de la visite serait de « renforcer la coordination préventive entre les deux autorités libanaise et palestinienne, surtout que le Liban a apporté le soutien fondamental et central aux Palestiniens depuis 1948, en les accueillant sur son territoire ». C’est à ce niveau qu’intervient la question de l’aide socio-économique aux camps palestiniens notamment par le biais de l’Unrwa, mais aussi de la Fondation Mahmoud Abbas, rappelle M. Abou Zeid.

Peu réceptif pour le Haut Comité
L’autre question, plus sensible, est celle de la coopération sécuritaire entre l’État libanais et les factions palestiniennes, concernant précisément le camp de Aïn el-Heloué. Depuis la réconciliation libano-palestinienne, scellée au lendemain de la chute du camp de Nahr el-Bared en 2007, un Comité de liaison et de travail commun entre le gouvernement libanais et l’ambassadeur Abbas Zaki, représentant l’Autorité palestinienne, avait été créé. Une coopération avait ainsi été initiée entre les factions palestiniennes à l’intérieur des camps, et l’armée, depuis l’extérieur. De ce fait, la force conjointe palestinienne dans les camps du Liban avait pour but de calmer le jeu entre factions palestiniennes aux prises avec leurs rivalités et leurs divergences mutuelles. À travers cette force conjointe, et le Haut Comité de sécurité palestinien qui en relève, le mouvement Fateh s’était posé, tant bien que mal, comme gardien de cette réconciliation, en faisant contrepoids aux factions islamistes radicales, ou à d’autres qui, comme Ansar Allah, répondent du régime syrien, voire aussi en contenant tout affrontement dans les rangs mêmes du Fateh. Et ce dans l’objectif de contrecarrer toute manœuvre de déstabilisation du camp qui serait prétexte à une confrontation directe avec l’armée. Mais depuis la démission, il y a une semaine, du commandant de la force conjointe, Mounir Makdah, et le retrait du Fateh du Haut Comité de sécurité, les garde-fous au sein du camp de Aïn el-Heloué ont quasiment disparu, comme le confirme une source libanaise informée des développements au sein de ce camp. Le résultat en est actuellement « un vide sécuritaire » que chaque faction voudra désormais combler seule. C’est dans cette logique de rivalité que Esbat al-Ansar (groupe islamiste qui avait joué les médiateurs entre Fateh et d’autres groupes jugés plus radicaux, comme les groupes Bilal Badr, Oussama Chahaba et Abou Mohammad Taha) aurait d’ores et déjà consolidé son autorité dans le quartier Fouqani, en y multipliant les points de contrôle, après être intervenu pour mettre un terme « au moment même » aux échanges de tirs survenus mercredi dernier, au premier jour de la visite de M. Abbas, et en remettre les acteurs présumés à l’armée libanaise, rapporte cette source.
Toujours selon cette source, le Fateh ne serait pas loin de faire lui aussi cavalier seul. En attesterait son retrait du Haut Comité de sécurité, mais aussi peut-être l’abstention de Mahmoud Abbas d’inclure dans sa tournée officielle une visite des camps de réfugiés. À la députée Bahia Hariri qui lui aurait formulé hier son souhait de réactiver le Haut Comité, il se serait montré peu réceptif, apprend-on de source autorisée. Las de jouer les arbitres, le Fateh aurait été aussi dépité par l’expérience qu’il avait eue avec M. Makdah : outre d’avoir été « au courant » du projet de construction d’un mur autour de Aïn el-Heloué (voulue par l’armée), l’ancien chef militaire est accusé de manque de coopération avec les demandes de l’armée de lui remettre certaines personnes recherchées. Ses rapports avec l’institution militaire seraient donc pour le moins ambigus. Au niveau interne au mouvement, il serait également soupçonné de corruption (il aurait notamment vendu des armes de Fateh à la force conjointe, laquelle est financée par le même Fateh).
Il ne serait donc pas question pour Ramallah d’inciter M. Makdah à revenir sur sa démission. Le Fateh entendrait procéder incessamment à de nouvelles nominations de ses cadres militaires à Beyrouth (démarche inédite du Fateh qui a toujours été enclin à maintenir les mêmes représentants à Beyrouth). Et sur ces nominations, il semble que ce soit Azzam el-Ahmad, représentant du Fateh au Liban, qui aurait le dernier mot, selon la source informée de la situation à Aïn el-Heloué, qui minimise la portée de la visite de M. Abbas sur ce plan.
C’est néanmoins au regard de la rivalité actuelle entre les factions palestiniennes du camp que la visite de M. Abbas pourrait se révéler utile. Sachant que ces factions seraient en quête d’une double crédibilité (auprès des habitants du camp, d’une part, et de l’armée, de l’autre, comme l’explique la source), il serait légitime de se demander, à titre purement analytique, si la visite du président de l’Autorité palestinienne n’a pas été une tentative de réaffirmer la position du Fateh comme interlocuteur palestinien privilégié auprès des autorités libanaises.