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L’affaire des visas, un révélateur de la froideur entre Hariri et Riyad ?

Jeanine JALKH

L’affaire des visas pour le pèlerinage de La Mecque octroyés par le gouvernement saoudien aux proches du Premier ministre désigné, Saad Hariri, a relancé le débat ces jours derniers autour de l’évolution des rapports entre les deux parties, certains milieux détracteurs du chef du gouvernement ayant fait circuler des informations non confirmées selon lesquelles le royaume aurait exigé cette année de se faire payer les visas accordés aux proches de M. Hariri.Dimanche dernier, le site libanais d’information Lebanon Debate avait indiqué que l’ambassade d’Arabie saoudite à Beyrouth aurait refusé cette année d’attribuer des visas gratuits pour le hajj à des personnalités proches du courant du Futur, comme il est de tradition, et aurait demandé à ce parti, qui avait présenté 5 000 demandes de visas, de payer ces visas.
Le site ajoute que d’autres demandes de visas présentées par le ministre sortant de l’Intérieur, Nohad Machnouk, pourtant lui-même membre du Futur, ainsi que par le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, par l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, et par le leader druze Walid Joumblatt auraient été acceptées sans condition. C’est pour mettre fin au tapage médiatique déclenché par cette polémique que Walid Boukhari, le chargé d’affaires saoudien qui fait office d’ambassadeur, s’est rendu hier auprès de M. Hariri, une rencontre qui survient après une visite effectuée la veille auprès de l’ancien chef de gouvernement, Fouad Siniora.
Devant la presse, M. Boukhari a clairement fait savoir qu’« un total de 5 000 visas a été accordé durant les dernières quarante-huit heures », soit 2 000 visas additionnels aux 3 000 que l’ambassade a affirmé avoir déjà octroyés à M. Hariri il y a quelques jours. Une majoration que plusieurs observateurs ont qualifiée de « message symbolique à connotation politique », que M. Boukhari a vraisemblablement voulu adresser « à ceux qui cherchent à semer le doute autour de la relation qu’entretient M. Hariri avec l’Arabie saoudite », note un observateur.Le diplomate a en outre expliqué que la somme exigée ne concernait pas les visas, mais plutôt à couvrir les frais du pèlerinage.
Le chargé d’affaires saoudien a qualifié d’« excellente » la relation avec M. Hariri, invitant « tous les médias à ne pas croire certaines rumeurs qui servent des intérêts irresponsables ».
Depuis l’épisode de sa démission qu’on dit « forcée » annoncée en novembre 2017 depuis Riyad, Saad Hariri a réussi à renouer avec le royaume à la faveur de plusieurs visites effectuées en Arabie saoudite, mais aussi, après l’engagement de son gouvernement à respecter la politique de distanciation du Liban par rapport aux crises régionales, une position souhaitée par Riyad.
La polémique suscitée par l’affaire des visas, perçue par certains comme une illustration de la nouvelle politique de Riyad envers le Liban, a fait suite à des accusations dirigées par le Hezbollah, notamment contre Riyad, à qui le parti chiite fait assumer la responsabilité de l’obstruction à la formation du gouvernement.
Des imputations auxquelles M. Boukhari a répondu lundi dernier, en assurant l’attachement de son pays « à la stabilité et la sécurité du Liban », soulignant que Riyad « ne s’ingère pas dans la formation du gouvernement et respecte la souveraineté » du Liban.

Une relation pas plus que « normale »
Pour l’ancien député Farès Souaid, cette nouvelle polémique s’inscrit dans le cadre d’« une campagne orchestrée contre l’Arabie saoudite à qui l’on impute tous les maux au Liban, dont l’obstruction du gouvernement et l’intention de chercher à régénérer l’ancienne polarisation entre 14 et 8 Mars ». Riyad est « également accusé de mal gérer le dossier des pèlerins », dit-il, en allusion aux reproches qui lui sont faits de chercher à favoriser certains aux dépens d’autres en matière de visas parfois obtenus par l’intermédiaire de responsables politiques qui sont dans les bonnes grâces de Riyad.
Tout en reconnaissant que cela est en partie vrai, M. Souhaid explique que ces pratiques ne sont pas nouvelles, ce type de « pistons » faisant partie intégrante du système libanais. Il cite à ce titre l’ancienne députée Nayla Moawad qui était souvent sollicitée par des pèlerins sunnites et qui bénéficiait elle aussi d’un quota de la part de Riyad dans les années 90.
Mais par-delà la question emblématique des visas, c’est le rapport qu’entretient désormais M. Hariri avec Riyad qui est aujourd’hui mis à l’épreuve par ses détracteurs qui chercheraient ainsi à tester sa solidité.
Pour un analyste qui évoque un retour à la normale, les choses sont rentrées dans l’ordre après que les responsables saoudiens « ont saisi un peu mieux la situation complexe dans laquelle se trouve Saad Hariri, appelé à maintenir un certain équilibre et jongler avec ses partenaires politiques ».
Une source proche du courant haririen estime qu’il est clair que les responsables saoudiens « ont revu et corrigé » leur attitude envers Saad Hariri après l’épisode de la démission, en rectifiant le tir après que le Premier ministre a réussi à les convaincre de la nécessité de « concilier dans la mesure du possible une vision arabe et la situation de fait accompli imposée par le Hezbollah et, derrière lui, l’axe iranien ».
Selon cette source, dire que Riyad a « commis une erreur » est un euphémisme. « L’Arabie saoudite a commis un crime à l’égard de Saad Hariri, qui a consenti beaucoup de sacrifices, mais aussi à l’égard de son père Rafic ».
Désormais, le Premier ministre désigné entretient avec les responsables saoudiens « une relation qui n’est pas extraordinaire, ni privilégiée, mais simplement normale », commente encore pour L’OLJ M. Souhaid.
Aux yeux de l’Arabie saoudite, M. Hariri représente une personnalité sunnite « respectée avec laquelle le royaume aspire à avoir de bonnes relations », ajoute l’ancien député qui cite, à titre comparatif, la relation qu’entretenait son père, Rafic Hariri, avec Riyad. « À son époque, personne ne connaissait le nom de l’ambassadeur, tout simplement parce que l’ancien Premier ministre représentait lui-même les intérêts du royaume au Liban », dit-il. Aujourd’hui la situation est différente et les intérêts saoudiens « ne sont plus confiés à une personne, en l’occurrence Saad Hariri », dit-il.
M. Souhaid avance plusieurs raisons qui expliquent ce changement d’attitude : tout d’abord, le fait que la personnalité de Saad Hariri soit « différente » de celle de son père ; en second lieu, le contexte politique et régional qui n’est plus le même, l’Arabie saoudite étant engagée dans une bataille généralisée contre l’Iran, que ce soit au Liban, en Irak, en Syrie et au Yémen. Il faut enfin considérer le fait qu’il y a eu un changement au niveau de la nouvelle génération des hauts responsables saoudiens, qui a fait ses études aux États-Unis, à Londres ou en Allemagne, explique M. Souhaid. « Cette génération ne connaît pas la Broummana High School, ni l’AUB, des établissements jadis fréquentés par les Saoudiens », dit-il.
« Par conséquent, la relation entre la nouvelle génération de leaders saoudiens avec le Liban n’est plus sentimentale comme elle l’était avant. Elle est devenue plus professionnelle, basée sur des intérêts froids », conclut M. Souhaid.