Le ton monte de plus en plus au Liban entre les partisans et les détracteurs de l’opération militaire de la coalition arabo-sunnite, guidée par l’Arabie saoudite, contre les houthis au Yémen. La polémique s’amplifie à un point tel qu’elle risque, si elle poursuit cette courbe ascendante, de compromettre le dialogue entre le courant du Futur et le Hezbollah et de faire voler en éclats la trêve politique sunnito-chiite, instituée à la faveur de ce dialogue.
À la veille de la nouvelle intervention télévisée du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ce soir, l’ambassade d’Iran a fait paraître un communiqué dans lequel elle s’en est prise, sur un ton très peu diplomatique, au ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, sans le nommer. Il convient de rappeler à ce propos que M. Machnouk avait vivement critiqué mardi soir, au cours d’un dîner au Phoenicia, l’Iran et les attaques du Hezbollah contre l’Arabie saoudite.
L’initiative de la chancellerie iranienne et la véhémence du ton employé font cependant poser des interrogations sur leur motivation, d’autant que M. Machnouk n’est pas la première personnalité ministérielle ou parlementaire sunnite à avoir critiqué l’intervention de l’Iran au Yémen et en Syrie. Plus encore, il n’est pas habituel que la mission diplomatique d’un État critique un ministre pour ses propos. Téhéran a-t-il voulu, à travers sa chancellerie au Liban, réagir aux attaques de l’ambassadeur d’Arabie saoudite, Ali Awad Assiri, qui multiplie depuis quelque temps les déclarations incendiaires contre la politique et les manœuvres expansionnistes iraniennes ? La question se pose car l’impression est que Riyad et Téhéran se livrent une guerre sur le sol libanais, à travers leurs missions diplomatiques respectives et par partisans politiques interposés.
Dans son communiqué, le bureau d’information de la chancellerie a pris soin d’établir une distinction entre les positions officielles de l’État libanais et celles de responsables politiques, « même s’ils ont une qualité officielle ». « On sait que les positions de ces derniers ne reflètent que leur point de vue », selon le texte, qui précise que « les dirigeants libanais ont régulièrement relevé ce point durant leurs entretiens bilatéraux avec des responsables iraniens ». Reprenant une phrase de l’allocution prononcée mardi soir par Nouhad Machnouk au cours du dîner à l’hôtel Phoenicia, dans laquelle il parlait de Beyrouth, la chancellerie a rebondi sur la même idée pour souligner que « celui qui appartient à une ville considérée comme la capitale de la culture doit pouvoir établir une différence entre la pensée obscurantiste qui génère le terrorisme et l’intégrisme, et celle qui est fondée sur l’assistance aux États et aux peuples qui cherchent à préserver leurs droits et leur sécurité face aux agresseurs sionistes et aux groupes armés terroristes ».
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Une confrontation intellectuelle et non militaire
« On aimerait savoir ce que ces responsables directement concernés par la sécurité et la justice pensent du massacre de près de 3 000 hommes, femmes et enfants au Yémen à cause des attaques injustes lancées par des bombardiers contre des innocents. Est-il possible de fermer les yeux sur ces meurtres et cette injustice à des fins politiques ? » s’est insurgé le bureau d’information de l’ambassade avant de poursuivre : « Parce que ces responsables connaissent al-Nosra et Daech (le groupe État islamique) ainsi que les origines de leur pensée takfiriste, leurs sources de financement et les nationalités de leurs membres, comment peuvent-ils ignorer les horreurs commises en Irak et en Syrie et qui ont fini par s’étendre au Yémen ? Comment peuvent-ils ne pas se révolter contre les instigateurs de ces pratiques ? »
Après avoir situé la révolte des houthis dans le cadre d’un « mouvement populaire visant exclusivement à obtenir leurs droits légitimes et justes qui sont un don divin », la chancellerie a estimé que « les dons divins ne doivent pas être ignorés » et a invité « ces responsables à revoir l’histoire de la région pour savoir quelles sont les parties qui ont injustement traité ces peuples au fil des ans ».
Pour l’ambassade d’Iran, « la confrontation dans la région aujourd’hui n’est pas militaire mais intellectuelle ». « Elle se situe entre une pensée qui débouche sur le terrorisme, que celui-ci se manifeste à travers le Front al-Nosra, Daech ou el-Qaëda, et une autre qui encourage les peuples à obtenir leurs droits humains et divins les plus élémentaires et qui les encadre dans un front de résistance contre les sionistes spoliateurs », a poursuivi l’ambassade en critiquant « une politique des deux poids, deux mesures », cette politique s’exprimant, selon elle, par le fait que le monde arabe « ne réagissait pas lorsque le Liban et Gaza étaient victimes d’attaques sionistes ».
Dans l’entourage du ministre de l’Intérieur, on assurait hier soir que ce dernier ne souhaitait pas répondre à la chancellerie iranienne.