L’édito
Son ambition n’est un secret pour personne. Il ne s’en est d’ailleurs jamais caché. Mais dans la course à la succession de son père, le roi Salmane âgé et malade, Mohammad ben Salmane semble être passé à la vitesse supérieure.
En lançant, hier, sa « Vision saoudienne à l’horizon 2030 », un vaste plan de réforme dont l’objectif affiché est de diversifier l’économie du royaume largement dépendante du pétrole, Mohammad ben Salmane, ministre de la Défense et vice-prince héritier, se positionne en tant que réformateur.
De quoi, peut-être, faire un peu oublier que c’est lui, aussi, qui a embarqué le royaume dans l’aventure yéménite, qui tient plus du coûteux bourbier que du blitzkrieg.
Mohammad ben Salmane, 31 ans, travaille à se donner les moyens de ses grandes ambitions depuis plusieurs années déjà. Et ce de manière totalement assumée. Ce qui lui avait valu, rappelle l’agence Bloomberg dans un long portrait du prince, d’être interdit par le roi Abdallah, son oncle, de mettre un pied au ministère de la Défense. Le crissement des dents du Mohammed rayant le marbre des palais saoudiens était arrivé aux oreilles du souverain défunt, qui en avait conçu une certaine irritation. Le bannissement avait toutefois été de courte durée, et avant la mort du roi Abdallah, l’oncle et le neveu s’étaient réconciliés, le premier se montrant finalement intéressé par l’argumentaire du prince selon qui, faute d’une réforme profonde de l’économie saoudienne, le royaume courait à la banqueroute.
Deux années durant, Mohammad a donc travaillé sur sa « vision saoudienne » dont les grandes lignes ont été annoncées hier. Cœur de ce plan, la création d’un méga-fonds souverain de 2 000 milliards de dollars, ce qui en ferait le plus important au monde. Avec ces réformes, a assuré le prince qui préside aussi le Conseil des affaires économiques et de développement, le royaume pourra « vivre sans pétrole dès 2020 ». Le challenge est de taille, puisque le pétrole représente 90 % des recettes fiscales et d’exportation de Riyad.
Alors que le royaume, plus grand exportateur mondial de brut, a perdu la moitié de ses revenus depuis le début du déclin des prix pétroliers à la mi-2014, le roi Salmane a déjà mis en œuvre des réductions des subventions de l’État, faisant grimper les prix de l’essence, du diesel, du gaz naturel et de l’électricité de 80 %. Pour limiter les effets potentiellement disruptifs de cette sortie, de facto, de l’État-providence – mesures qui ont déjà suscité des grincements de dents –, il fallait proposer du lourd.
Mohammad ben Salmane s’est engouffré dans la brèche.
Dans la foulée, il a donné un os à ronger aux Saoudiennes, déclarant que c’est à la société saoudienne, et non au gouvernement, de décider si elles peuvent conduire. Il s’est toutefois empressé d’ajouter qu’à ce jour, la « société n’est pas convaincue ».
Avec ces annonces, Mohammad ben Salmane pourrait marquer des points dans la guerre larvée qui l’oppose au ministre de l’Intérieur Mohammad ben Nayef, premier dans l’ordre de succession et considéré par beaucoup comme l’homme fort du royaume.
Devant le prince aux dents longues, la route vers le trône reste semée d’embûches. Le prince est jeune, et certains, le considérant trop fougueux et pas assez expérimenté, se demandent s’il saura mieux concrétiser son plan que l’aventure yéménite.
Quoi qu’il en soit, les couloirs des palais de Riyad doivent plus que jamais bruisser de rumeurs sur l’après-Salmane. Dans le contexte régional actuel, la course à la succession pourrait s’annoncer houleuse.