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L’armée récupère les deux tiers du territoire occupé par l’EI

Jeanine JALKH 

En deux jours de combats, l’armée a réussi à récupérer 80 km² des 120 km² occupés par le groupe État islamique (Daech), dans les jurds de Qaa et Ras Baalbeck, où elle mène, depuis samedi, une offensive terrestre contre les jihadistes. C’est ce qu’a annoncé hier un porte-parole militaire, le colonel Fady Abou Eid, lors d’un point de presse au siège du ministère de la Défense, à Yarzé. Pour de nombreux stratèges, cette progression importante a été rendue possible par une décision souveraine basée sur un plan d’attaque soigneusement mis en place. L’offensive terrestre a été précédée de tirs de préparation qui ont duré plusieurs semaines et de l’évacuation des réfugiés civils qui se trouvaient dans la zone, pavant ainsi la voie à l’opération baptisée « L’aube des jurds », annoncée samedi par le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun.

Interrogé sur le timing de l’offensive terrestre, une source autorisée a indiqué que la décision a été prise par le commandant en chef de l’armée lorsque ce dernier a estimé que le plan militaire était au point et la stratégie logistique en place. Certes, le commandement militaire a attendu le feu vert politique, qui a fini par être donné après que l’armée eut fait pression en ce sens, ne pouvant plus tergiverser en matière de timing, comme le précise la source.

Pour Khalil Hélou, général à la retraite, l’heure H a été décidée sur base d’un plan bien étudié. L’ancien officier précise que le commandement de l’armée a fini par convaincre les Américains de la pertinence de sa décision. « L’administration US pensait qu’il fallait patienter jusqu’au printemps prochain pour assiéger les jihadistes et les cueillir comme un fruit mûr après qu’ils eurent été épuisés par l’encerclement et par un hiver extrêmement dur », dit-il.

Reprise de trois collines stratégiques

Les affrontements, qui ont débuté à l’aube de samedi, se sont poursuivis hier, faisant plusieurs morts dans les rangs des combattants islamistes radicaux. En moins de quarante-huit heures, l’armée a pu reconquérir trois collines stratégiques qui séparent Ersal du jurd de Fekha et de Ras Baalbeck. Celles-ci dominent la colline occupée par des éléments de l’EI.

« Depuis samedi, l’armée libanaise a réussi à libérer une surface de 80 km², soit plus de la moitié du territoire que contrôlait Daech, et nous avons tué près de 20 terroristes », s’est félicité le porte-parole de l’armée. L’officier a précisé que les soldats ont repris le contrôle des hauteurs de Wadi Khechen, Kherbet el-Tine, Kornet Hokab al-Hamam et Ras al-Dalil.

Deux véhicules piégés dans le jurd de Ras Baalbeck ont été détruits par la troupe au cours de l’opération militaire. Les deux véhicules, une voiture et une moto, devaient être utilisés dans un attentat contre une position de militaires.

Pour la première fois, l’armée a utilisé des bombes de 500 kg larguées par des hélicoptères MK 83 ainsi que des missiles Hellfire. « C’est une arme extrêmement efficace dans ce genre de bataille, ce type de missile pouvant atteindre l’embouchure d’une grotte en provoquant à l’intérieur un incendie », commente le général Hélou, qui vante les capacités de combat de l’armée libanaise « malheureusement méconnues par nombre de personnes ».

Plus que 40 km²

Il ne reste plus donc que 40 km² à reprendre, sauf que la récupération de l’étendue restante serait la partie la plus dure à jouer. Trois grands défis guettent les soldats au cours de la dernière phase de l’opération, estiment les analystes militaires: les mines, les kamikazes et le risque de sabotage dans l’arrière-pays.

Hier, trois soldats ont été tués dans l’explosion d’une mine alors qu’ils patrouillaient dans un véhicule militaire dans le jurd. Ce sont ces engins sournois que craint le plus la troupe, même si les sapeurs du génie font leur travail nuit et jour. « Même si ces derniers s’attellent à déblayer une large partie du terrain, ils ne peuvent en définitive détecter l’ensemble des mines posées, surtout lorsqu’elles sont placées à une importante profondeur », commente le général Hélou.

C’est également l’avis exprimé par un responsable militaire, qui souligne qu’il ne faut pas minimiser les risques que représente un terrain miné par « des gens professionnels rodés à la fabrication et à la pause des engins depuis plusieurs mois ».

Selon un ancien officier de l’armée, il est plus difficile de reconquérir l’étendue qui reste aux mains de l’EI, notamment parce que la marge de manœuvre de la troupe s’est rétrécie. « Les jihadistes sont postés sur des collines qui donnent sur des espaces découverts et peuvent par conséquent facilement localiser les soldats qui avancent », dit-il. « Il faut savoir que les combattants de l’EI savent qu’ils n’ont plus rien à perdre: ils sont donc prêts à tout. Ils vont combattre jusqu’à la dernière goutte de sang », dit-il.

Du coup, l’armée devra avancer lentement et avec énormément de précautions, ce qui signifie que la bataille devra encore prendre un peu plus de temps que prévu, « des semaines probablement ».

Il reste une seule inconnue, poursuit l’ancien officier, à savoir l’attitude qu’adoptera la coalition internationale présidée par les États-Unis au cours de la dernière phase de la bataille. Selon lui, si les combats se corsent, celle-ci interviendra inéluctablement pour soutenir l’armée libanaise « uniquement dans la bataille qui a lieu en territoire libanais ».

« La doctrine militaire »

Interrogé sur l’avancée de la bataille conjointement menée par le Hezbollah et l’armée régulière syrienne pour la libération du jurd du côté syrien, une source militaire autorisée répond sans ambages: « Nous n’en savons rien. Ce qui passe là-bas nous concerne d’autant moins qu’il n’y a aucune coordination à ce niveau. » Et de poursuivre: « Nous n’acceptons d’instructions de la part de qui que ce soit. Nous sommes la seule autorité souveraine sur le terrain. C’est la doctrine militaire. Il en a toujours été ainsi et cela ne changera pas. »

La troupe devra également faire face aux risques d’attentats perpétrés par des kamikazes, qui ont d’ailleurs commencé dès hier à se manifester, les soldats ayant réussi à mettre en échec une première tentative du genre. Ce type de danger peut toutefois être contourné grâce aux avions Cessna de surveillance « capables de détecter les mouvements des individus et des armes à 12 km d’altitude », assure M. Hélou.

Le risque d’attentats est également à prévoir dans l’arrière-pays, poursuit l’ancien officier. « C’est la raison pour laquelle les mesures de sécurité ont triplé, ces derniers jours, les forces de l’ordre et l’armée ayant renforcé la garde autour des casernes et multiplié leurs patrouilles aux quatre coins du pays. »

On le sait désormais: plus les éléments de l’État islamique sont coincés, plus ils vont sortir leur griffes. C’est ce qui s’est passé en Espagne et à Helsinki entre autres, en réaction au resserrement de l’étau autour de Daech, à Raqqa notamment. Dans un geste hautement symbolique, l’armée libanaise a planté samedi un drapeau espagnol aux côtés du drapeau libanais sur l’une des collines – Mkhayrmé – que la troupe venait de reprendre. Un clin d’œil solidaire au lendemain de la tragédie qui a endeuillé l’Espagne.